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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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donner confiance, il te faut les armer… Et puis, qui sait ? Si ces infâmes prennent pied sur nos murs, l’ire de ces vieillards les changera en preux !
    Le sénéchal se tourna :
    — Vous, Argouges, avant que de veiller à tout avec Girard, allez sonner la campagne et n’ayez pas peur d’en casser le bronze.
    Ogier suivit Jean et Girard ; il les abandonna sitôt dans la haute cour et se précipita vers la chapelle. Sous le porche, accroché au chambranle du portail, la corde de la cloche pendait. Il l’attrapa comme s’il se noyait et sonna, sonna tout en hurlant :
    — À l’arme ! À l’arme ! Tous dehors !
    Arnaud Clergue apparut, plus que pâle : farineux dans sa barbe d’une semaine.
    — Ils reviennent ?
    — Par Dieu, oui !… Si cela continue, il faudra vous armer.
    Le chapelain fit quelques pas en arrière, et brusquement disparut. Les hommes s’étaient rassemblés. Jean et Girard achevaient de débusquer les femmes et les enfants des logis et des granges.
    — Holà !… Hâtez-vous… Il y va de votre vie.
    Nul mot ne sortait des lèvres contractées des hommes et des jouvenceaux ; les femmes, elles, caquetaient ou chuchotaient. Le même effroi, cependant, se lisait dans tous ces regards et faisait frémir ces chairs mal protégées. Des flèches et des carreaux tombaient dans la cour, et tous se courbaient. Margot et Aliénor étaient là, côte à côte. Elles seules se rebellèrent :
    — Alors, messire Ogier, qu’attendez-vous de nous ?
    — On va vous employer à chauffer les chaudrons et à soigner les navrés.
    — Bonnes à tout faire, dit Aliénor.
    — Vous lamentez point, femelles, dit Girard en s’approchant.
    — Holà ! s’exclama Margot, tu fais moins le fier, mon gars, quand tu tournes autour de nous à la nuitée.
    — Allons, cria Ogier, point de querelle !
    Girard, furieux, compta les vieillards : quinze ; ensuite, les femmes : trente-deux. Ogier fut heureux de ne voir parmi elles aucune jouvencelle : Mathilde avait dû les prendre à son service. Le sergent renvoya une quinzaine de vieilles et quatre futures mères dont la grossesse parvenait à son terme. Ensuite, il compta les enfants : douze. Il en éloigna six.
    — Vous les petits, au donjon, et n’en sortez pas.
    Et, aux plus vigoureux :
    — Vous voyez ces rochers devant les écuries ?
    — Oui, messire, répondit un rouquin du hameau.
    — Qui es-tu ? demanda Ogier.
    — Bertrand Pimouguet.
    — Tu commanderas à tes compains. Faites au mieux pour monter toutes ces pierres jusqu’au seuil de la bretèche.
    — Et prenez garde ! insista Girard. Les sagettes et les carreaux pleuvent dru et leur malevoisine peut se remettre à cracher.
    Il se tourna vers Margot, Aliénor et les femmes :
    — Mettez-vous à l’abri et attendez-nous.
    Puis, aux vieillards :
    — Suivez-moi au donjon, il vous faut vous armer… Allons, allons, hâtez-vous… Vous venez, messire ?
    Ogier les accompagna. Bientôt, sur le seuil de la grand-salle, ces culverts usés, vaincus par la vie, reçurent un vouge, un fauchard, un chapel de fer quelquefois taché de sang frais.
    — Partons, dit Girard après la distribution. Et ne vous troublez point, les vieux : tout ira bien !… Rendez-vous utiles et faites-vous petits.
    Ils revinrent devant les femmes. Ogier ne s’émut guère de leur pâleur. Certaines pleuraient. Elles eussent pleuré davantage si Knolles et ses suppôts avaient envahi Rechignac.
    — Vous voilà très attrayants, les pépés, dit Aliénor en considérant, poings aux hanches, tous ces vieillards qu’elle connaissait peut-être mieux qu’elle ne le laissait paraître. Armés et chapeautés comme des preux. Nous, on aura rien dans les mains, rien sur la tête, pas le moindre anneau de fer sur le corps. Voilà, mes commères, la justice des hommes !
    D’un geste bref elle repoussa dans son dos sa crinière, et Margot fit un pas vers Girard :
    — Elle a raison et elle a tort. Ce n’est pas vêtues et armées qu’il faudrait nous placer aux créneaux. C’est toutes nues… Certes, il y en aurait pour tous les goûts, mais c’est pas l’arme à la main que vous verriez accourir les malandrins de Canole. Et par mon pucelage et mon premier blanchet [43] , ils s’entre-tueraient pour avoir les plus belles… qui sans doute ne seraient pas les meilleures.
    Piétinant sur place, elle eut un geste éloquent accompagné d’un rire qu’Ogier détesta ; puis,

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