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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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chemin de ronde.
    Guillaume et Blanquefort veillaient à la bretèche du pont-levis. Jean était auprès d’eux, bras croisés mais peut-être suant d’angoisse.
    — Tiens, te voilà, mon neveu… Vois comme ils se remuent tout à coup.
    Le crépuscule tombait sur le camp de Robert Knolles. Des cornemuses couinaient et des chants s’élevaient autour des feux, plus nombreux que d’ordinaire.
    — Et s’ils avaient reçu des renforts ? questionna le sénéchal.
    — Nous les aurions vus arriver.
    — Pas s’ils sont passés au large des Banchereaux.
    — Eh, voyez ! s’écria Ogier, le doigt tendu… Ils quittent la forêt…
    Ils en sortaient par groupes. Dans un grand champ, à proximité du pavillon de Robert Knolles, ils se formaient en compagnies. Fourmilières de mort. Fourmillement de bras armés de tout ce qui entame, tranche, perfore, arrache, tue ou démembre. Chairs et fers confondus ; poils, tiretaines et soies mêlés. On eût dit, répandue sur le vert glauque du pré, une sorte de boue ocrée, bouillonnante. Des aboiements retentirent.
    — Les chiens coaillent [40] . Les hommes n’en feront pas autant, ça, je vous le promets !
    — Le voilà ! dit Ogier.
    Knolles apparaissait, rutilant de la tête aux pieds dans les obliques rayons du soleil.
    — Il est couvert de fer, on peut sonner.
    Avant même que Guillaume eût achevé sa phrase, Jean soufflait dans sa trompe.
    — Cette fois, dit Blanquefort, Canole ne va pas laisser un homme en bas… Voyez comme leurs rangs s’allongent !
    Il plongea son regard dans celui d’Ogier :
    — Ni heaume, ni cervelière, une fois de plus… Vous donnez à nos hommes un bien fâcheux exemple.
    Et derechef, il observa l’ennemi.

IV
    Les tambours battirent à coups brefs, discordants, puis reprirent leur rythme monotone : boum boum boum boum boum boum boum boum boum boum. Les busines et les araines lancèrent leurs cris aigus, et à pas lents, Goddons, Gascons et mercenaires entreprirent l’ascension de la motte.
    Du donjon, un son de trompe tomba.
    — C’est Rigaud, dit Guillaume. Et ça veut dire qu’ils nous entourent. Reste à savoir s’ils vont nous assaillir partout à la fois.
    — Ces linfars, maugréa le sénéchal, y paraissent bien décidés.
    Le tumulte frappait les parois du château, fluide ou rugueux, félin quand miaulaient, parfois, les cornemuses. C’était une marée de sonorités disparates, les unes enfoncées dans le soir comme des pieux qu’on pousse à coups de marteau ; les autres le lacérant comme des griffes. Cette musique avait aussi du tranchant, du piquant, de l’épaisseur et l’éclat de l’acier – surtout lorsque les tambours se turent et que les trompettes seules harcelèrent le ciel de nacre et d’escarboucle. Telle une floraison barbare, épanouie puis flétrie au rythme de la marche, elles se dressaient de loin en loin, s’étiolaient, se dressaient encore, lançant autour d’elles autant de lueurs que de stridences, et à mesure qu’elles approchaient, leurs sonneries faisaient songer à ces vols d’oies sauvages, cacardantes, qui frôlaient en automne les tours de Rechignac.
    Derrière, et comme les poussant, Knolles encourageait ses meutes. Et plus loin, Briatexte ; et plus loin, Mélipart ; et plus loin, Barbiéri dont Ogier crut reconnaître le tabard fangeux. Les cris de tous ces chevetains éclataient au-dessus du vacarme comme des bulles à la surface d’une eau putride.
    Et tout à coup, ils se précipitèrent dans une confusion, une vélocité, un haro tels qu’Ogier, devançant son oncle, hurla aux hommes figés de stupéfaction :
    — Détruisez-les fellement !
    — Allons ! Allons ! Défendez votre vie, hurla Blanquefort.
    L’enchantement mortel cessa. Les arbalétriers lancèrent leur trait. Les archers bandèrent l’if, ajustèrent leur homme et lâchèrent leur sagette en poussant un cri ou un soupir d’aise.
    — Bien ! Continuez ainsi.
    Frappés en pleine course, les ennemis culbutaient, boulaient, s’affalaient. Certains expiraient après des contorsions brèves ; d’autres, désarticulés, trébuchaient et se relevaient pour s’abattre à nouveau – définitivement – ; quelques-uns, perdant leur hache ou leur épieu, chancelaient comme des ivrognes tandis que leurs voisins, ensuite d’un soubresaut, s’agenouillaient, mêlant aux gestes du trépas ceux de la prière.
    — Comment arrêter cette truandaille ? enragea Guillaume. La

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