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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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farouche :
    — Où sont Mathilde et ses filles ?… Les lois, à ce que je vois, continuent à être différentes.
    — Et vos cousines, messire Ogier ? renchérit Aliénor. Surtout celle qui se prend pour un homme ? Sont-elles dispensées de cette corvée ?
    Ogier resta coi. Dans un coin de sa chambre, à moins que ce fût à la forge, Claresme devait frémir, gémir, claquer des dents. Quant à Tancrède, il se pouvait qu’elle fût au sommet du donjon.
    — Allons, dit Girard exaspéré par tous ces commentaires, suivez-moi. Abritez-vous derrière les merlons… Aidez vos compagnons aux places qu’on vous assignera… Vous, les vieux, veillez à ce qu’ils soient bien approvendés en sagettes, carreaux et rochers. Il y en a au pied de chaque escalier. Vous, les dames, entretenez, bouillante, l’eau qui baptisera ces païens… Il y a des barils et du bois près des chaudrons… Et dites-vous tous que vous n’êtes plus ni dans les cours de Rechignac, par temps clément, ni sur le mail de Savignac un dimanche ou un jour de foire… Et si par malheur ces enragés prennent pied sur les aleoirs, faites comme nous : battez-vous !
    Se détournant de Margot et d’Aliénor, Ogier s’engagea dans la première tour portière. Il en gravit l’escalier, frôlant les hommes de renfort qui, un sur chaque degré, attendaient de passer à l’action. Il y avait là Calmels, Aspe et Raymond – les trois sergents de Normandie auxquels il n’osa annoncer la mort de Benoît – et plus loin, pâles comme deux suaires : Renaud et Haguenier. Il les ignora.
    — Comment ça va, là-haut ? s’informa un rouquin.
    — N’es-tu pas Pimouguet ?
    — Si, messire.
    — Ça va pour le moment. Ton fils est dans la cour au portage des rochers… Crois-moi, il est vaillant… Tâche de lui ressembler.
    Il y eut des rires, et il s’étonna de sa sévérité ; mais quoi ? Cet homme, à coup de pain et de lard, s’assurait la soumission d’Aliénor. Pour lui faire l’amour, il lui faisait l’aumône.
    « Et moi ? »
    Il ne lui avait rien demandé. Elle s’était résolument offerte. Guillaume, tout en haut, semblait l’attendre.
    — Tiens, mon neveu. C’est l’arc d’Albert, un maçon… Et voici de quoi meshaigner [44] ces démons.
    Ogier saisit l’arme, le carquois, et courut à sa place favorite, à l’extrême renflement de l’édifice, de sorte qu’en remuant à peine, et par trois embrasures, son tir pouvait s’exercer dans trois directions : à sa gauche, côté latrines et Mathilde ; à sa droite, dans la surface limitée par les tours portières ; et devant, au-delà du fossé, sur le parvis d’entrée où, proches de la perrière, Knolles et ses capitaines assemblaient de nouvelles hordes.
    Il y avait là deux jeunes palefreniers : Roupérious et Bernier.
    — Où sont-ils les plus pressants ?
    — Là, messire, dit Bernier. Ils voudraient bien parvenir à tomber notre pont-levis.
    — Et à rompre les barreaux de la poterne, ajouta Roupérious. Ils viennent de lâcher leur bélier, mais ils vont recommencer.
    — Alors, compères, faites-moi place dans ce coin… Et que messire saint Michel nous aide !
    Ogier décocha ses premiers traits sur les archers et les arbalétriers qui, au bord de la contrescarpe, protégeaient leurs compères en tirant sur les défenseurs. Ils étaient six ; deux tombèrent. Il rit. Ce qui se passait en bas, devant la poterne, le laissait indifférent : Bernier, Roupérious et une douzaine d’autres s’en occupaient, sans compter ceux de la tour d’en face.
    — Encore un !
    C’était à peine s’il entrevoyait parfois, tant il s’appliquait dans son œuvre de mort, le faîte d’une échelle oscillant dans l’espace.
    Il tuait. Il écoutait intensément les cris de haine, qu’ils vinssent d’en haut ou d’en bas. En même temps qu’il discernait dans la cohue le routier qui deviendrait sa victime, il supputait la lourdeur des mailles qui alentissaient ses mouvements ou celle du chapel de fer dont le bord large obscurcissait sa vue. Il percevait d’autant mieux l’acuité d’une frayeur et d’une fatigue qu’elles ressemblaient aux siennes. Il subissait une sorte d’attirance envers ces hommes qui allaient devenir ses proies. Curiosité abominable, délectation abjecte. À son sang s’ajoutaient des pintes de venin.
    Il tuait. Il voyait chanceler et tomber les assaillants avec un plaisir formidable. Il ne comptait plus ses

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