Le Gué du diable
Gérold…
— Non pas seul, peut-être, mais…
— Tu as menti en soutenant qu’il avait pris, à ton insu, l’initiative de contacts avec l’intendant d’Isembard. Tu as menti en prétendant que Benoît et Malier étaient convenus d’un rendez-vous au Gué du diable, sans que tu aies été tenu au courant…
— Cependant…
— Ne m’interromps pas, Frébald, je te le conseille vivement ! jeta Childebrand en colère. Je disais donc que tu as menti en déclarant ignorer qui te représenterait à ces pourparlers ! Tu as encore menti en essayant de nous faire croire que tu n’avais aucune lueur sur la manière dont ils s’étaient déroulés.
— Je jure que…
— Oh ! ne jure pas ! intervint Erwin. Cela vaudra mieux pour le salut de ton âme.
— Je dois ajouter ceci qui n’est certes pas à ton honneur, reprit Childebrand : tu n’as rien fait pour disculper Malier concernant le meurtre de Wadalde, parce que la mise en cause de ton intendant t’arrangeait ; tu n’as rien fait pour venir au secours d’hommes qui te servent, esclaves peut-être, Frisons peut-être, mais innocents et qu’Ermenold aurait questionnés jusqu’à la mort si nous n’étions pas intervenus. Là aussi, leur culpabilité faisait ton affaire. Le maître qui ne se préoccupe pas de ses serviteurs, quels qu’ils soient, n’est pas digne d’être un maître !
A mesure que le missus lui jetait ses accusations à la face, Frébald se tassait sur son siège.
— Malgré tout, je vais encore te donner une chance, c’est de nous dire ici, et à l’instant, ce que tu sais.
Le seigneur des Nibelung, visage fermé, se tut obstinément.
— Soit ! dit Childebrand. Apprends donc le coût de ton silence. Partout il passe pour un aveu quant à l’assassinat de Wadalde. Et ce n’est pas Malier qu’on accuse. Oh ! non, mais l’un des tiens, quand ce n’est pas toi-même ! Et comment pourrais-tu te défendre, comment le pourrait-on, puisque tu n’as pas cessé d’accumuler dérobades et mensonges ? Mais ce n’est pas le pire… Des accusations très déplaisantes sont lancées çà et là… Elles prennent appui sur tes propres dires, selon lesquels Malier savait tout. Oui, souligne-t-on, tout, y compris le nom de celui qui devait rencontrer l’émissaire des Gérold au nom des Nibelung !
Le missus observa un court arrêt en buvant une gorgée de vin sans cesser de regarder sévèrement Frébald.
— Puisque tu n’as toujours rien à nous dire, je vais en venir au plus fâcheux, au plus détestable. Les diffamateurs n’ont pas manqué de s’emparer de ce fait pour étayer leurs accusations. Ils prétendirent donc qu’étant donné ce qui s’était passé sur les bords de l’Ouanne, tu avais cherché à empêcher, coûte que coûte, que soit dévoilé le nom de ton négociateur, sans doute, dirent-ils, un homme de ta lignée, ce qui comportait de clore à tout jamais les lèvres de Malier sur son secret… Dois-je dire tout haut quelle conclusion ils en tirent ?
Frébald bondit :
— C’est une infamie, une monstruosité ! Peut-on imaginer une telle ignominie ? Comment peut-on la colporter ? Comment vous, missionnaires du souverain, pourriez-vous croire cela ? J’aurais, moi, loyal vassal de Charles, époux d’une Nibelung, commis une telle infamie…
Il s’étranglait d’indignation.
— Si tu avais parlé, si tu nous avais aidés, intervint le Saxon, nous n’en serions certes pas arrivés là. Une dernière fois, je t’en conjure, parle. Sache que, de toute façon, nous connaissons la vérité !
— Parler, au risque de désigner un innocent comme coupable ? lâcha Frébald.
Erwin le regarda fixement.
— Quel aveu !
— Je vous ai dit tout ce que je savais.
— Soit, tu l’auras voulu. Garde, fais comparaître Théobald !
Ce dernier se présenta d’un pas assuré. Frébald se leva, déconcerté, alarmé.
— Mon fils, souviens-toi !… murmura-t-il.
— Oh ! le plus aveugle et le plus buté des hommes, ne peux-tu comprendre que le pire maintenant serait qu’il continue à se taire… au point où vous en êtes… Théobald, as-tu parlé avec le frère Antoine ?
— Oui, à l’instant. Il m’a dit que vous aviez recueilli des témoignages prouvant que l’un de nous deux, Héribert ou moi, s’était rendu sur les bords de l’Ouanne en cet après-midi fatal, que ce ne pouvait être mon frère puisqu’il avait passé la journée aux caves de
Weitere Kostenlose Bücher