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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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deux traits au centre d’une cible.
    — Excellent, vraiment excellent, commenta le maître archer.
    — Peuh, cela n’est rien à côté de mon ami, frère Antoine, qui sert aussi les missi dominici.
    — Cela n’est rien ? Alors, qui doit-il être, en vérité !
    — Il faudra que je lui conseille de venir essayer tes armes qui sont vraiment d’une exceptionnelle qualité. En attendant…
    Timothée alla chercher la flèche qu’il avait placée dans l’un des sacs d’une besace. Il la montra à Médard.
    — On m’a dit que tu servais tout le comté… Peux-tu reconnaître un tel trait à ce qui reste de ses ailerons, me dire à qui il appartenait ?
    Le maître artisan l’examina longuement.
    — Aucun doute, conclut-il. C’est une flèche Nibelung.
    — En es-tu certain, ce qui s’appelle certain ?
    — Aussi sûr que je te vois en face de moi !
    — Soit, dit le Goupil sans autre commentaire. Bien entendu, cela reste strictement entre toi et moi.
    Timothée, quittant le ton enjoué, avait lancé l’avertissement d’une voix impérieuse.
    — Bien entendu ! assura Médard, impressionné.
    Arrivé à la résidence, le Grec confia ses chevaux à un palefrenier et se fit annoncer aux missi qu’il trouva en train d’évaluer les conséquences, pour l’enquête, des révélations de Rimbert.
    — J’ai trouvé le cheval de Wadalde, leur annonça-t-il aussitôt, en leur relatant les circonstances de sa découverte.
    Childebrand, après l’avoir félicité, lui fit préciser maints détails concernant l’emplacement de la clairière, l’état du cheval et le harnais, tandis que le Saxon lâchait, en guise de commentaire :
    — Le hasard est le meilleur ami des enquêteurs… Encore faut-il qu’ils sachent le servir et s’en servir.
    Le Grec rougit à ce compliment. Puis il sortit la flèche qu’il dissimulait sous sa tunique et la tendit à Childebrand. Il narra ses investigations en compagnie de Badfred et la façon dont il avait cherché dans les fourrés ce trait qu’il avait fini par découvrir. Le comte, qui connaissait le goût que montrait Timothée pour les effets de surprise, joua le jeu en grondant :
    — Alors, animal ?
    — Maître Médard, répondit solennellement le Goupil, lui qui est le père de toutes les flèches en ces lieux, est formel : celle-ci porte la marque des Nibelung !
    — Par le cul du diable, c’est incroyable, inexplicable, infernal ! s’exclama Childebrand qui continua un instant sa litanie.
    — En tout cas, ajouta placidement Erwin, un cheval bai, une flèche Nibelung, voilà deux trouvailles bien instructives. Souhaitons que la recherche entreprise par frère Antoine soit aussi féconde.
     
    Le moine, lui, dès la première heure s’était rendu aux écuries d’Escamps pour y interroger palefreniers et serviteurs en vue d’apprendre qui, le jour du meurtre de Wadalde, avait demandé sa monture. On lui répondit que « tous les seigneurs l’avaient fait », ce qui ne l’avançait guère. Il décida alors de procéder autrement et fit venir le sous-intendant qui avait remplacé Malier. Il l’interrogea sur la composition du domaine Nibelung, et notamment sur ses parcelles éloignées.
    Il apprit que parmi celles-ci se trouvaient des pâtures dans la région de Saint-Sauveur-en-Puisaye, une forêt giboyeuse en pays d’Othe et des vignobles près de Saint-Bris.
    La période des vêlages touchant à sa fin, il estima que rien d’urgent n’avait pu inciter l’un des Nibelung à se rendre en Puisaye. Aucune chasse n’ayant été récemment organisée, il écarta de même le pays d’Othe. En revanche, la floraison de la vigne, la surveillance du vin dont la fermentation était entrée dans une période décisive, tout cela avait justifié, peut-être, une démarche exceptionnelle. Et puis, comment résister à l’attrait du « blanc de Chablis » ?
    Passant, depuis Escamps, par Vallan, le frère Antoine traversa l’Yonne à Champs et arriva aussi rapidement que le permettait Léonie à Saint-Bris, où il trouva sans difficulté, au centre du vignoble appartenant aux Nibelung, la cave sur laquelle régnait le maître vigneron Bernier.
    Ce dernier était presque aussi volumineux que le Pansu, quoique de taille moins élevée. Quand le moine entra dans cette cave, Bernier était en train de goûter le vin de la dernière vendange. Un serveur le suivait de tonneau en tonneau, avec un plateau portant du pain et du fromage

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