Le Gué du diable
ainsi déterminée, le chemin faisait un coude. Le Goupil s’enfonça, non sans peine, dans les fourrés, écartant les branches entrelacées et bravant les épines des buissons. Il en ressortit après un assez long moment en tenant une flèche entre ses doigts.
— En voici une, c’est l’essentiel, dit-il.
Il l’examina et la montra à Badfred.
— Méchant dard, méchant souvenir ! dit le fils d’Isembard qui voulut s’en saisir.
— Pardonne-moi, seigneur, objecta Timothée, mais elle doit être remise à mes maîtres, qui mènent l’enquête.
— Puis-je au moins voir l’empenne ?…
Les ailerons avaient été presque arrachés lorsque la flèche avait pénétré dans les buissons.
— Par tous les saints ! s’écria Badfred en examinant ce qui en restait. Cette marque que tu vois là indique qu’elle appartenait aux Nibelung ! Ainsi, ce sont à nouveau ces fripouilles…
— Doucement ! intervint le Grec. Ce qui subsiste de l’empenne ne permet certainement pas, sans plus ample examen, une conclusion aussi grave…
— Je te dis, moi, que c’est une flèche Nibelung ! Douterais-tu de cela alors que je suis sûr – sûr, tu entends – de mon fait ?
— Puisque tu en es si certain, cela sera prouvé sans peine et jusque-là…
— Maître Médard, dont l’atelier sert tout le pays, te le confirmera : cette flèche est Nibelung, martela Badfred.
— Je le croirai si cela est établi. Ne doute pas que je ferai tout ce qui est nécessaire pour en avoir le cœur net.
— Je voudrais en être sûr, lança, sur un ton redevenu cassant, Badfred qui sauta sur son cheval et repartit vers Chazelles, plantant là le Grec, qui ne fit rien pour le suivre.
En effet, tandis qu’il effectuait des recherches pour retrouver au moins un des traits qui avaient été tirés sur le fils d’Isembard, il lui avait semblé entendre comme des pas – ceux de quelqu’un marchant discrètement – et des bruits de branches cassées. Il attacha son cheval à un chêne et s’engagea sur une sente qui partait dans la direction de l’est, vers l’endroit d’où provenaient ces bruissements et craquements. Après une demi-heure de marche, il entendit tout à coup un hennissement. Il se dirigea vers le lieu d’où il provenait et parcourut ainsi trois cents pieds sur un sentier latéral qui débouchait sur une clairière, au milieu de laquelle se trouvait un étang. A la barrière d’un enclos herbeux, un cheval bai le regardait s’avancer en encensant. Dans un angle avait été édifiée une sorte de petite écurie. Timothée entra dans l’enclos et le bai vint vers lui. Il était en bonne forme. Dans l’écurie la litière avait été renouvelée récemment. Sur un tréteau était disposé, bien en ordre, un somptueux harnais pour homme d’armes. Le Grec harnacha le cheval qui se laissa équiper paisiblement. Puis, s’étant mis en selle, il quitta la clairière par un chemin qui se dirigeait vers le nord, car le sentier qu’il avait suivi pour arriver jusqu’à cet enclos était trop étroit pour être emprunté par un cavalier sur sa monture. Non sans quelques hésitations et détours, il put retrouver son propre cheval dont il saisit la bride. Chevauchant toujours le bai de la clairière et suivi par son coursier, il prit le chemin de la ville.
Parvenu à l’enceinte d’Auxerre, le Grec, dont l’arrivée n’était certes pas passée inaperçue, se renseigna sur l’atelier de maître Médard. On lui indiqua qu’il était situé non loin de la chapelle Saint-Michel, mais à l’extérieur de la ville.
L’artisan était un homme jovial, trapu et vif cependant. Il accueillit Timothée comme s’il l’avait connu de toute éternité, l’appelant par son nom avec déférence ; il lui offrit le vin de la bienvenue et se déclara à son service.
Le Grec ayant mis pied à terre s’intéressa d’abord à la confection des armes qui occupait plusieurs compagnons. Maître Médard lui en présenta de toutes les forces, depuis l’arc de maniement aisé pour archer monté jusqu’à celui de grande puissance pour hommes à pied. Non sans malice, il offrit à Timothée d’essayer l’un de ceux-ci. Il vit avec surprise ce Levantin, vêtu d’une tunique à l’élégance recherchée, aux mains fines, et qui paraissait fait pour les exploits de la parole plus que pour ceux du muscle, bander sans effort apparent l’arc qu’il lui avait confié et expédier coup sur coup
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