Le Gué du diable
blessé, fort mal en point, et, sévèrement touché lui aussi, Justin, l’un des fils de Héribert.
— Et concernant les nôtres ?
— Armés et cuirassés comme ils l’étaient… Un seul a été atteint. Ce ne sera rien… Cependant…
Childebrand passa sa main gauche sur sa courte moustache, semblant hésiter. Puis il se décida :
— C’est égal, lâcha-t-il, si tu m’avais prévenu à temps…
— Le moyen de te prévenir ? riposta Erwin sans élever la voix. Tu dois bien penser que si je l’avais pu… Mais où te joindre, de quelle façon ? Pouvais-je en outre deviner comment les choses allaient tourner ?
— Cependant, ici même, dès ton arrivée, n’aurais-tu pas pu tenter de m’avertir ?
— C’est ce que j’ai fait. J’ai envoyé immédiatement les gardes qui m’avaient accompagné pour t’avertir. Mais le combat était déjà engagé. Ils sont arrivés dans la fournaise. De mon côté, parvenu près du refuge, je n’avais pas un instant à perdre. J’entendais les vociférations de Robert et les coups de hache qu’il donnait. Je suis passé par une fenêtre que Rémy m’avait ouverte et je me suis trouvé pour ainsi dire nez à nez avec ce forcené (il montra Robert) qui venait de défoncer la porte. J’ai eu tout juste le temps de dégainer et de pointer mon arme. Faible parade. Heureusement Rémy m’a prêté main-forte, c’est le cas de le dire : une étreinte d’ours !
Erwin regarda son ami avec une lueur d’amusement dans le regard.
— Voilà ! dit-il.
Childebrand se frotta la joue, l’air embarrassé.
— Voilà, oui, voilà ! murmura-t-il en écho.
Puis subitement son visage s’éclaira et il éclata de rire.
— Au fait, demanda-t-il alors à son ami, comment, par qui as-tu appris que nos deux étourneaux avaient trouvé refuge en cette maison forestière ? Par quel miracle as-tu pu t’y trouver à temps pour les sauver ?
— Par le même miracle qui t’a mené ici, non moins à temps, répondit Erwin : l’instinct de chasse, les lumières de l’esprit, l’assistance du Très-Haut !
Dans le soir qui tombait arrivèrent les chariots qui apportaient fournitures et vivres pour le campement ainsi que des médicaments. Ils étaient guidés et accompagnés par nombre de villageois, hommes et femmes, qui, tout en apportant leur aide, étaient surtout poussés par la curiosité. Ils savaient déjà tout sur les affrontements, l’équipée attendrissante de deux nobles amoureux, la présence de personnages mythiques au milieu de « mille hommes d’armes »… Ils regardaient de tous leurs yeux, fiers de les côtoyer et de les servir.
Les deux missi arrêtèrent les dispositions pour la nuit. Aux Nibelung et aux Gérold furent assignés des emplacements séparés. Des pelotons de gardes furent disposés entre eux. Des rondes de surveillance furent organisées. Albéric dut rejoindre les siens. Quant à Clotilde, elle retourna dans le refuge pour y passer la nuit, servie par deux femmes de Dilo et gardée par des miliciens se relayant devant sa porte. Les blessés furent transportés avec précaution dans une clairière adjacente où l’abbé saxon vint leur faire visite. Une matrone du bourg qui possédait des dons de guérisseuse mit à leur disposition les ressources de ses talents. Les morts furent placés sur une charrette et recouverts d’un drap. Robert fut emmené à l’écart, et, entravé, placé sous surveillance.
La nuit arriva. De place en place s’allumaient les feux de bivouac. Après les allées et venues et les bruits provoqués par la mise en place du campement ainsi que par le service de la collation du soir, les villageois une fois partis, seules troublèrent le silence et le repos les voix des sentinelles qui patrouillaient et se relevaient.
CHAPITRE VII
Tout Auxerre était aux fenêtres, sur le pas des portes ou dans la rue pour accueillir ceux qui revenaient du pays d’Othe. En tête chevauchaient trois gardes, l’un d’eux portant l’enseigne de la mission. Puis venaient le comte Childebrand et l’abbé Erwin, le comte Ermenold et les trois assistants des missi, car le frère Antoine s’était joint au cortège dès son entrée dans la ville. Frébald et Isembard avançaient ensuite, sur une même ligne, précédant Badfred, Bernard, Théobald et Héribert qui, regard au loin, voulaient s’ignorer. Suivaient les Nibelung et les hommes des Gérold, encadrés par des gardes, et qui, pour la
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