Le Gué du diable
en étaient restés bouche bée. Le comte descendit de l’estrade, l’air avantageux, pour regagner son siège à une place d’honneur.
Théobald, appelé ensuite, déclara qu’il voulait témoigner sous serment prononcé sur les Saintes Écritures.
— Tu sais à quoi tu t’engages, lui dit le missus. Tu connais les châtiments qui sanctionnent le parjure, ici-bas et au Ciel, après un tel serment !
— A qui dit la vérité, nulle crainte ne vient au cœur, répondit Théobald.
Le fils de Frébald commença par préciser comment il avait été averti par Malier des tractations en cours, puis désigné par son père pour rencontrer un émissaire des Gérold, ignorant d’ailleurs de qui il s’agissait. Il narra son arrivée en vue du gué, la découverte du cadavre sur la berge. Il confessa qu’étant donné les circonstances il avait craint d’être accusé d’un meurtre qui avait été accompli manifestement avec perfidie, de manière qu’on lui en imputât la responsabilité. Il s’était tu trop longtemps et, à présent, voulait, publiquement, en exprimer le regret.
Le comte Childebrand fronça les sourcils.
— Je dois te rappeler, déclara-t-il, que toute dissimulation constitue offense grave aux enquêteurs, particulièrement quand les investigations portent sur une violation du ban impérial. Le tribunal en appréciera le prix, compte tenu de ta confession tardive. Et maintenant, qu’on appelle le seigneur Isembard !
Quand le seigneur des Gérold, qui venait d’arriver, traversa la salle d’audience pour se présenter devant le tribunal, tous les regards se tournèrent vers lui.
— Inutile de revenir, lui dit Childebrand, sur les circonstances du meurtre. Ce qu’il s’agit d’élucider maintenant, ce sont les raisons pour lesquelles Robert a conçu le dessein d’assassiner celui de tes vassaux qu’on disait le plus proche de lui.
— Comment se prononcer avec certitude ?… commença Isembard. Il est certain que mon frère avait beaucoup changé dernièrement. Certes, il a toujours été ombrageux et irascible. Mais, de toute évidence, cet aspect coléreux, haineux, de son caractère s’était aggravé dangereusement…
— Au point de s’en prendre sans raison, de façon sauvage, à Wadalde ? s’étonna Childebrand.
— Évidemment pas !
A cet instant, Erwin se leva et se porta sur le devant de l’estrade.
— Et si nous parlions maintenant des rapports de ta famille avec celle des Nibelung ? Voilà qui ne manque pas d’intérêt pour comprendre les événements dramatiques qui sont intervenus, dit-il.
— Je mentirais, concéda Isembard, si j’affirmais que les relations entre nos deux maisons avaient toujours été empreintes de cordialité. Néanmoins, nous étions parvenus, les uns et les autres, à calmer les esprits.
Le Saxon ne put retenir un sourire.
— Y compris celui de Robert ? dit-il. Allons donc ! Nous avons recueilli de nombreux témoignages confirmant qu’il avait redoublé d’accusations et d’insultes, infamantes et ordurières, contre les Nibelung. Le nierais-tu ?
Isembard marmonna une appréciation indistincte.
— Nierais-tu, poursuivit Erwin, que c’est lui qui a inspiré à Wadalde la diatribe dirigée contre Frébald et Adelinde, et que celui-ci a eu le front de prononcer devant moi ?
— J’en éprouve encore de la honte, affirma Isembard.
— Il ne s’agit pas de cela ! jeta le Saxon sur le ton de la colère. Il s’agit de la haine que Robert vouait aux Nibelung et du plan odieux qu’elle a pu lui inspirer. Quand furent connues les circonstances du meurtre de Wadalde, beaucoup n’ont-ils pas pensé qu’il ne pouvait être attribué qu’aux Nibelung, par exemple pour venger l’honneur de Frébald et d’Adelinde après la diatribe qu’il avait lancée contre eux, et aussi en raison de la présence de Théobald sur les lieux du crime ? Réponds donc !
— Oui, finit par répondre Isembard d’une voix à peine audible.
— Dès lors, martela Erwin, n’est-on pas en droit de penser que Robert a commis ce forfait, ce meurtre prémédité, pour faire tomber sur les Nibelung le poids d’une accusation monstrueuse ?
Isembard tergiversait encore.
— Oui ou non est-on en droit de lui prêter ce plan qui a bien failli réussir ? Je te somme de répondre !
Le seigneur des Gérold baissa la tête. Puis, se redressant, il dit, cette fois-ci à haute et intelligible voix :
— Quelle
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