Le guérisseur et la mort
moins qu’il doive passer la nuit en chemin. Il repart alors à l’aube. Notre homme doit le savoir, assurément.
— Ils ne croient pas en son existence, dit Daniel d’une voix morne. Et s’il n’existe pas, peu importe l’heure à laquelle ils font cet exercice.
— On dirait qu’ils se sont arrêtés. À moins qu’ils partent vers Barcelone. Bon, ils vont se reposer, faire boire leurs chevaux et manger un morceau, probablement. Nous pouvons fermer les yeux jusqu’à ce que l’ombre de cet arbre s’étende sur nous.
— Arrête de te vanter, Yusuf, tu ne peux pas prédire ce qu’ils font en cet instant.
— Peut-être que non, mais je vous parie que ça va leur prendre du temps avant de revenir par ici. Plus ils sont loin et moins ils en ont à faire aujourd’hui. Quand l’ombre touchera cette pierre blanche, j’irai récupérer nos montures.
Il s’allongea sur le dos et ferma les yeux.
— Toi non plus, tu n’y crois pas, je me trompe ?
— Non. Je pense que c’est une invention de la part d’un garçon qui espère trouver un nouveau foyer et une fille susceptible de tomber amoureuse d’un sourire enjôleur et d’une carrure avantageuse. Car en dehors de lui, qui aurait eu l’occasion d’empoisonner tous ces gens ?
— Personne n’a été capable de retrouver le messager, protesta Daniel.
— La ville regorge de gamins aptes à garder un secret pendant des années, il suffit de leur donner une pièce. À moins que vous sachiez qu’ils mentent et que vous leur donniez une pièce encore plus grosse pour dire la vérité… en leur laissant entendre que d’autres suivront.
— Tu as dit toi-même qu’il ne connaissait rien aux plantes.
— C’est vrai, fit le garçon en ouvrant un œil, mais il se peut aussi qu’il ait déployé de grands efforts pour me convaincre de son ignorance.
— Mais maître Isaac et Raquel… tous deux croient…
— Maître Isaac est la première personne à dire qu’il commet des erreurs, que nous en commettons tous. C’est pourquoi il est si prudent. C’est aussi pour cette raison qu’il pardonne si facilement les erreurs d’autrui. Quant à Raquel, lui avez-vous demandé ce qu’elle croit vraiment ?
Daniel ne répondit pas.
— Je pense qu’il est temps d’aller chercher les chevaux, dit Yusuf.
Ils se tenaient à l’ombre du petit bouquet d’arbres, tout à côté de leurs montures, et attendaient le passage du faux Daniel. Il arriva bientôt au petit galop, sans regarder à gauche ni à droite, et fila vers le nord.
— Il va terriblement vite pour quelqu’un qui espère être l’objet d’une agression, fit remarquer Yusuf.
— J’ai vu ça, oui. Je crois que je vais marcher, dit Daniel. Tu tiendras le cheval. Regarde, il y a une branche de belle taille.
Il prit son couteau, coupa la branche et la débarrassa de ses feuilles.
— Cela me donnera de quoi me défendre contre notre ennemi fantôme.
— Une minute.
Yusuf prit le foulard qu’il portait au cou, le plia et le noua au niveau du boulet de l’antérieur gauche de sa jument.
— Pourquoi fais-tu ça ?
— Chacun croira que vous avez mis pied à terre parce que votre monture boitait. Elle ne s’en rendra certainement pas compte, mais peut-être que n’étant pas habituée à sentir quelque chose sur son boulet, elle affichera un léger boitillement, ce qui sera d’autant plus convaincant. Si cela la perturbe vraiment, ajouta-t-il d’un ton inquiet, ôtez-le-lui. Je ne l’ai pas serré très fort.
— Tu te soucies plus du cheval que de moi.
— Vous n’avez besoin de personne pour ça.
Sur quoi, Yusuf emmena sa jument sur un chemin plus ou moins parallèle à la route.
— Où vas-tu ?
— Il y a un endroit étroit et bien abrité. C’est là que je me placerais si je devais attaquer. Je pense que je vais attendre ici. Vous aurez peut-être besoin de quelqu’un pour vous aider à appeler les gardes. Ils ont l’air de vouloir rentrer, dit Yusuf qui disparut dans les bois en souriant.
La petite troupe passa. Daniel compta jusqu’à cent, s’arrêta, compta ensuite jusqu’à cinquante. Il prit les rênes de la jument et la mena vers la route. Elle baissa la tête pour regarder le foulard, fit quelques pas en posant prudemment son sabot gauche, puis une fois arrivée à la route, se dit de toute évidence qu’il ne s’agissait que d’un ornement futile. Et elle se remit à marcher normalement.
Un quart d’heure et
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