Le guérisseur et la mort
celui-ci.
— Je ne vais tout de même pas laisser quelqu’un vous tuer alors que vous montez mon cheval, répliqua Yusuf indigné. Je pense que c’est ici qu’il faut contourner la colline.
— Quelqu’un s’est levé aussi tôt que nous. J’entends des sabots de l’autre côté de la rivière.
— Pressons-nous dans ce cas. Il n’est pas question d’annoncer notre présence au monde entier.
— Tu as raison, dit Daniel en éperonnant son cheval.
Le tribunal épiscopal devait commencer ses activités à l’heure de tierce. Quelques affaires moins importantes seraient d’abord jugées, et le clerc avait calculé qu’il s’écoulerait encore une heure avant la venue des témoins au procès de Lucà.
La dernière affaire fut vivement expédiée : ce contentieux sur une propriété fut réglé au grand déplaisir des deux parties. Son Excellence se pencha alors pour appeler le clerc.
— Y a-t-il du nouveau ?
— Non, Votre Excellence, fit-il, imperturbable.
Quand l’évêque décidait de rendre justice, sa mission consistait à organiser les débats et à faire en sorte qu’ils durent le moins longtemps possible. La présence ou l’absence des témoins ne le regardait en rien quand il n’avait pas mission de les faire comparaître.
— Dans ce cas, nous ne pouvons plus attendre, conclut l’évêque, et la nouvelle affaire passa en jugement.
La première déclaration d’un témoin à charge émana de maître Jaume Xavier, le notaire. D’une voix blanche, dépourvue de toute émotion, le clerc la lut aux trois juges, deux spécialistes du droit canon et du droit régulier ainsi que Berenguer. Quand le clerc en arriva à la candide déclaration de maîtresse Magdalena, où elle expliquait pourquoi le jeune Lucà méritait ses cinquante pièces, on entendit quelques rires dans l’assistance de la part de ceux qui avaient réussi, souvent en graissant la patte à quelqu’un, à assister au procès. Le reste du témoignage fut écouté respectueusement par tous.
— « En ce qui concerne maître Narcís Bellfont, mort par empoisonnement le dixième jour du mois d’avril, lut le clerc : maître Narcís m’a envoyé chercher sous prétexte qu’il désirait modifier son testament. Il avait été informé que son principal bénéficiaire, son oncle, membre des saints ordres, était sur le point de mourir, et il ne désirait pas, sous prétexte que ledit ordre avait maltraité le vieil homme au cours des derniers mois de son existence, que l’ordre dudit oncle hérite. Selon son précédent testament, l’ordre aurait reçu la part de l’oncle si ce dernier était mort avant lui. Ce nouveau testament n’était que provisoire, m’expliqua maître Narcís, parce qu’il se remettait si bien de ses blessures qu’il envisageait même de prendre épouse. À l’occasion d’un tel événement, il ferait un autre testament, mais pour l’heure présente, il souhaitait que sa fortune fût répartie entre le diocèse de Gérone et maître Lucà.
« En ce qui concerne maître Mordecai, dont il fut attenté à la vie de la même manière au soir du dix-huitième jour du mois d’avril. Maître Mordecai demanda que je vinsse lui rendre visite et m’adressa un message disant que, lors de ma venue, il m’expliquerait toute l’affaire. Quoi qu’il en soit, lorsque j’arrivai, la tentative d’empoisonnement avait déjà eu lieu, et maître Mordecai annula notre entretien.
« Tout ceci, je le jure, etc., Jaume Xavier, notaire à Gérone. »
Le clerc apporta la déposition aux juges et s’assit.
— Quel autre témoignage vient charger l’accusé ? demanda le premier juge, qui se tenait à la droite de l’évêque.
— La déclaration, dûment enregistrée en présence de témoins le vingtième jour du mois d’avril, de maître Mordecai ben Aaron, juif du diocèse, par laquelle il explique, déclara le clerc, que « le onzième jour du mois de mars, près de l’heure de complies, la personne connue sous le nom de Lucà arriva au Call, dans la maison de maître Isaac, le médecin, où il me cherchait et où il se présenta à moi comme le fils unique de ma cousine Faneta, né à Séville. Je me montrai extrêmement suspicieux, car c’était la seconde fois en cinq mois qu’un jeune homme se prétendait le fils unique de ma cousine Faneta. Ce jeune homme expliqua qu’il ne souhaitait que rencontrer ses parents et qu’il était chrétien, ses parents étant
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