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Le guérisseur et la mort

Le guérisseur et la mort

Titel: Le guérisseur et la mort Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Caroline Roe
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ses difficultés aussi, mais, comme le menuisier, il prenait soin de ne pas s’occuper de Regina.
    Quand Romeu eut regagné son atelier, qui occupait quasiment tout le rez-de-chaussée de la maison où ils demeuraient, Lucà s’attarda à table.
    — Votre père est très organisé. Faire la cuisine, s’occuper de la maison… Mais je m’étonne qu’il n’ait pas pris une autre épouse.
    — Ma mère est morte il y a moins d’un an, dit Regina dont les yeux s’emplirent de larmes. Ce fut pour lui un coup très rude. Je doute qu’il s’en soit déjà remis.
    — Ce devait être une femme très bonne.
    — Plus encore. Elle était bonne et honnête, mais aussi très vive et très gaie. La maison était toujours emplie de rires et de chansons. Quand j’étais malade ou qu’il ne faisait pas beau, elle s’asseyait près de moi avec son ouvrage et me narrait des histoires mieux que les meilleurs poètes. Elle me manque tant, sanglota-t-elle. Si elle avait vécu, elle aurait deviné les intentions de Marc parce qu’elle voyait tout et savait beaucoup de choses sur les gens. Elle m’aurait prévenue – elle a tenté de le faire avant de partir – et elle aurait su comment m’aider.
    Regina posa le front sur la table et pleura sans retenue.
    Lucà fit le tour de la table pour s’asseoir sur le même banc qu’elle. Il la prit par les épaules et posa la main sur la sienne, chuchotant des paroles comme on le ferait à un enfant malheureux. Peu à peu, ses sanglots cessèrent et elle se calma. Elle voulut essuyer les larmes et il lui tendit son mouchoir.
    — Prenez cela, dit-il en versant dans un gobelet du vin qu’il coupa d’eau.
    Il posa des abricots secs et des noix sur une assiette qu’il plaça tout près de sa main.
    Regina but quelques gorgées.
    — Tout de suite après la mort de maman, Marc est parti en Sardaigne se battre aux côtés de monseigneur Francesch de Servian. Je l’ai supplié de n’en rien faire, mais à l’entendre, il en avait assez d’être pauvre et nous ne devrions pas nous marier tant que je ne serais pas remise de la mort de maman : vivre avec moi lui serait impossible. Il ne supportait plus la misère et le chagrin et préférait lutter et mourir plutôt que de travailler sans interruption et demeurer dans le besoin.
    — Vous n’aviez personne vers qui vous tourner ?
    — Non. Papa était si malheureux que je ne voulais pas ajouter mes soucis aux siens. Ensuite, quand nous avons appris par monseigneur Francesch ce que Marc avait fait, mon père lui en a voulu au point que je ne pouvais plus prononcer son nom devant lui. Il hurlait que c’était un fourbe et un bon à rien et espérait qu’il connaîtrait une mort infâme au combat, mais cela ne m’aidait en rien.
    Ses larmes s’étaient taries et elle regarda par la fenêtre comme si l’histoire de sa vie, aussi brève fût-elle, était inscrite dans les nuages. Puis elle prit une noix qu’elle mangea et but encore un peu.
     
    Au matin du Vendredi saint, Lucà la trouva au jardin, dans la partie consacrée aux plantes aromatiques.
    — Les pauvres, dit-elle, je les ai tant négligées. Je viens d’arracher quelques mauvaises herbes. Elles sont mieux comme ça.
    — Les plantes apprécient l’attention qu’on leur porte, déclara-t-il, mais vous ne devez pas vous fatiguer. Asseyons-nous plutôt à l’ombre avec un rafraîchissement.
    — Je m’en occupe. Je viens de préparer une boisson à base de menthe et de citron pour que papa la trouve à son retour de l’église.
    Elle revint avec une cruche pleine et deux gobelets puis s’en alla chercher une coupe chargée de fruits et de noix.
    — Vous ne parlez jamais de vous, lui dit Regina. J’ignore même d’où vous venez. Quelqu’un a dit que c’était de Séville, mais vous n’avez pas l’accent de cette ville.
    — C’est parce que je n’y ai pas grandi. Je ne m’en souviens pratiquement pas. Mais je vous raconterai mon histoire plus tard. Ce qui importe à l’heure actuelle, c’est comment vous vous sentez.
    — Le plus gros de ma douleur…
    — De quel genre de douleur s’agit-il ? lui demanda-t-il, les yeux dans les yeux. Pouvez-vous me le dire ?
    — Là, dit-elle en posant la main juste au-dessus de sa taille. Et là, ajouta-t-elle en effleurant sa poitrine. Pendant des mois, j’ai eu l’impression que l’on entassait sur moi d’énormes pierres qui m’interdisaient de bouger, de respirer, d’avaler.

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