Le guérisseur et la mort
à chaque étape de la préparation et ils ne m’ont fait aucun mal.
— Vous ont-ils été bénéfiques ?
— Ma tête ne me fait pas souffrir, je dors bien, je mange bien et je me sens heureux toute la journée, de sorte que je ne suis pas certain qu’ils puissent changer quoi que ce soit en moi. Mais ce matin, j’en ai avalé une bonne quantité et je demeure en bonne santé.
— Si elle désire boire ce remède, vous aurez la permission de le lui donner, mais il vous faudra d’abord lui expliquer ce que vous faites. Je ne veux pas que ma fille soit abusée, fût-ce pour son propre bien. La traîtrise masculine l’affecte déjà assez.
— Puis-je essayer sur-le-champ ?
En guise de réponse, Romeu se leva et se dirigea vers l’escalier menant aux chambres.
— Regina ! appela-t-il. Aurais-tu la bonté de descendre un instant ?
Cinq minutes plus tard, l’air quelque peu irrité, Regina descendit les marches tout en tirant sur les lacets de son corsage et en resserrant son châle. Elle avait les yeux rouges à force d’avoir pleuré.
— Ma très chère enfant, dit Romeu, Lucà voudrait te donner quelque chose à même d’apaiser tes douleurs et ton chagrin.
— Comment le pourrait-il ? répliqua-t-elle d’une voix éteinte. C’est impossible, papa. Je suis lasse d’être présentée à toutes sortes de médecins et de guérisseurs ou d’hommes incapables de comprendre pourquoi je souffre. Laissez-moi, s’il vous plaît.
— Je vous en prie, maîtresse Regina, dit Lucà, j’ai des raisons d’éprouver beaucoup de gratitude à l’égard de votre père, et cela m’émeut de le voir souffrir à cause de vous. Si je pouvais apaiser vos tourments, ses souffrances s’en trouveraient adoucies.
— Comment osez-vous ? s’écria-t-elle pleine d’une fureur inattendue. Peut-être croyez-vous que je souffre d’une piqûre d’abeille, sur laquelle vous pouvez placer des feuilles séchées afin d’en extraire le poison ? Le poison et la douleur sont ici, au plus profond de mon être, et nul ne peut les atteindre !
— Permettez-moi d’essayer. Accordez-moi trois jours, au moins, ensuite, si vous le désirez, je n’en parlerai plus jamais.
— Tu devrais accepter, Regina, lui conseilla son père d’une voix douce.
— Si vous y tenez, papa… dit-elle en retombant dans l’apathie.
Lucà déposa son panier sur la table et en tira un flacon fermé par un bouchon de liège. Il le secoua pour en rendre le contenu homogène, l’ouvrit et remplit à ras bord un gobelet en bois.
— Voici ce que je vous ai préparé, dit-il en le lui montrant.
Il en but près de la moitié.
— Là. Vous constaterez que je ne crains pas de goûter mes propres remèdes. Me ferez-vous l’honneur de boire le reste ?
— J’accepte à la condition que vous me permettiez ensuite de regagner ma chambre.
Regina but la préparation, ébaucha une révérence puis disparut dans l’escalier.
— Pensez-vous qu’elle continuera pendant trois jours ? demanda Lucà.
— Elle a accepté, lui répondit Romeu, et elle ne reviendra pas sur sa parole.
— Dans ce cas, nous devrions constater une légère amélioration.
— Je l’espère, parce que si je vois son état empirer, vous regretterez d’avoir choisi de séjourner dans ma maison.
IX
Fortuna és sobtós canviador La chance change tout en un instant
Quand Regina descendit l’escalier, le lendemain matin, elle se mouvait doucement et bâillait. Romeu avait déjà préparé de quoi manger, une grosse miche, une saucisse fumée et un beau morceau de fromage.
— Tu as l’air fatiguée, ma chérie, lui dit son père. Tu n’aurais pas bien dormi ?
— Si, papa. Plus que d’habitude. D’ailleurs je ne me suis réveillée qu’il y a une minute, et je sens encore le sommeil en moi.
— Tant mieux. À présent essaie de manger quelque chose.
— Oui, papa.
Mais bien qu’elle se servît une petite tranche de pain et un peu de fromage, elle ne mangea que du bout des dents et laissa presque tout dans l’assiette.
Le jour suivant, Regina descendit avec plus de vivacité et posa elle-même sur la table tout ce qui était nécessaire au déjeuner. Romeu l’observa et s’abstint de tout commentaire, se contentant de lui lancer un joyeux bonjour.
Lucà arriva peu après et, une fois salués le père et la fille, mangea copieusement. Ce faisant, il discuta du temps, de ses patients et des derniers projets de Romeu, de
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