Le guérisseur et la mort
cherche toujours cette fleur. J’espérais qu’il y en aurait de précoces.
— Vous n’en trouverez pas avant au moins un mois, même si le soleil est très chaud. Mais comme vous en avez besoin, j’ai vérifié notre réserve : nous en avons encore une belle quantité qui date de l’année dernière. Mais peut-être vous les faut-il fraîches ?
— Nullement.
— J’en ai apporté avec moi, au cas où vous en auriez besoin. Je vous en prie, servez-vous.
— Et si ton maître s’en apercevait ?
— C’est lui qui m’a dit de vous en donner, répondit Yusuf. Nous en avons suffisamment. Je vous souhaite une agréable journée, ajouta-t-il. Je vous laisse, j’ai un cours à la cathédrale.
Sur cette remarque intrigante, Yusuf s’inclina et dévala la colline.
— Seigneur, j’ai revu le nouveau guérisseur, dit Yusuf à la table du dîner. Lucà. Il récolte des plantes pour concocter un remède à la mélancolie.
— C’est le jeune homme qui est venu ici, n’est-ce pas, Isaac ? demanda Judith.
— Lui-même, ma mie. Et comment sais-tu qu’il traite la mélancolie ?
— Parce qu’il recherchait les fleurs de cette plante que les sorcières utilisent pour jeter des sorts. Les fleurs jaune clair, avec une tige qui m’arrive aux genoux. Voilà ce qui l’intéressait quand je l’ai vu pour la dernière fois. Il m’a expliqué qu’il en avait besoin pour un patient souffrant de brûlures.
— Effectivement, cela les apaise. Mais pourquoi crois-tu qu’il cherche à débarrasser quelqu’un de sa mélancolie ?
— J’ai eu la chance de regarder dans son panier, il n’y avait que du romarin en grande quantité et de la bétoine. Ce n’est pas très utile pour les brûlures, n’est-ce pas, seigneur ?
— Non.
— Comme je me suis rappelé votre demande, j’ai emporté avec moi un petit bouquet de fleurs des sorcières séchées. Je sais qu’il est là quasiment chaque matin. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, seigneur, nous en avons une grande quantité et je la remplacerai dès la prochaine floraison, se hâta-t-il d’ajouter.
— Tu as bien fait, Yusuf.
— Dès que je les lui eus données, je suis parti en prétextant un rendez-vous, mais je l’ai surveillé et j’ai vu qu’il se dirigeait vers la maison de Romeu.
— Peut-être cherche-t-il à soigner la fille de son logeur.
— Là où vous avez échoué ? dit Raquel.
— Comment me l’as-tu décrit ? lui demanda son père. Un jeune homme, avec des cheveux bruns soyeux, des yeux très doux et un visage aux traits affirmés ?
— Comment vous rappelez-vous toutes ces bêtises ? dit Raquel. Mais c’est exact, c’est un beau jeune homme.
— Il se peut que la prescription de ta mère pour Regina soit meilleure que la mienne, et si Lucà obtient, de son regard, qu’elle mange et oublie sa mélancolie, peut-être guérira-t-elle. Nul doute que quelques plantes apaisantes l’aideront en cela. Je lui souhaite bonne chance.
Lucà passa le reste de la matinée à faire infuser chacune des trois plantes. Quand elles semblèrent avoir atteint la concentration idéale, il les goûta puis les mélangea en souhaitant ardemment que quelqu’un fût à ses côtés pour lui indiquer les proportions exactes. Le résultat était fort et amer. Il ajouta une cuillerée de miel et une petite quantité de vin. Le parfum était maintenant étrange, mais pas désagréable. Après un instant de réflexion, il en but une bonne quantité car il redoutait d’augmenter les souffrances de la jeune fille en lui donnant une potion néfaste à sa santé.
Le soir, quand Regina se fut excusée et qu’elle se retira dans sa petite chambre, Lucà s’adressa à son logeur.
— Messire Romeu, je ne puis m’empêcher de remarquer que votre fille, Regina, paraît malheureuse au point d’en être malade. Me permettriez-vous de l’aider si je le puis ?
— L’aider ? s’étonna Romeu. Irez-vous à Athènes convaincre son ami qu’il ferait mieux de revenir et de travailler ici plutôt que de se battre pour s’enrichir ? Je vous félicite si vous y parvenez !
— Je suis herboriste et non faiseur de miracles. Mais mon maître m’a enseigné la préparation d’une décoction qui chasse les idées noires, supprime les maux de tête et ramène le sommeil. Je suis allé dans les prés et les collines, j’ai cueilli les ingrédients, je les ai broyés et les ai mélangés. Je les ai goûtés
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