Le guérisseur et la mort
côté.
Elle souleva les épaules raidies du malade et s’efforça de faire couler le liquide entre ses dents serrées. Quand il eut tout pris, elle le recoucha.
Isaac posa la main sur le ventre de l’homme puis sur ses cuisses et ses mollets. Il secoua la tête.
— Va chercher quelque chose de chaud pour lui réchauffer les pieds.
Le garçon sortit en courant.
— Y a-t-il de l’eau pour lui baigner le visage ?
— Oui, papa.
— Comment est-il à présent ? Vite, Raquel.
— Ses mâchoires se décrispent légèrement et je crois que ses muscles s’assouplissent.
— Prépare encore du mélange mais ne le lui donne pas tout de suite. Anna est-elle ici ? demanda-t-il tout en massant le ventre de son patient.
— Je suis là, maître, répondit-elle.
— Qu’a-t-il mangé en dernier ? Ou bu, ou mis dans sa bouche d’une façon ou d’une autre ? Et où est ce gamin ? ajouta-t-il, impatient.
— Ici, messire. J’ai enveloppé des pierres dans de l’étoffe, elles sont encore chaudes du feu allumé pour le souper.
— Place-les à ses pieds.
— Il n’a mangé que du pain et de la soupe, dit la servante.
— Et toi ?
— Exactement la même chose.
— Et avant ?
— Il a bien déjeuné, maître Isaac. La cuisinière est sortie avant que je descende ce matin et trouve un beau poisson à farcir et du chevreau. C’était excellent et il a voulu de tout. On ne peut rien reprocher à la nourriture, ajouta-t-elle en insistant sur ce dernier mot.
— Comment le sais-tu ?
— Nous avons les uns et les autres mangé comme lui. Le maître ne veut pas que la cuisinière prépare deux menus différents. Elle lui sert toujours la meilleure part, mais souvent il en prend une autre et nous la laisse. Et nous allons bien. On ne peut pas non plus accuser le vin, nous en avons tous bu de la même cruche.
— Alors dis-moi, puisque tu sembles si bien informée, ce qu’il a pris qui a pu le rendre malade de la sorte.
— Oh, messire, c’est le médicament avalé la nuit dernière.
— De quoi parles-tu ? D’une potion que je lui aurais laissée ?
— Oh, non, pas vous ! C’est celle de l’herboriste. Tout est de ma faute…
— Papa, dit Raquel, il essaye de dire quelque chose.
L’homme chercha à relever la tête.
— J’ai si froid, murmura-t-il. Maître Isaac, est-ce vous ? J’ai soif, une soif terrible.
Raquel le souleva pour l’aider à boire.
— Nous aurions dû vous appeler, mais c’était fermé, oui, tout était fermé, dit-il en pressant la main du médecin. C’est cette mixture, cette terrible mixture.
— A-t-il été malade ?
— Non, messire, c’est comme s’il était empêché de faire quoi que ce soit.
— Combien d’heures se sont écoulées depuis qu’il a bu ?
— Trois ou quatre, dit Anna avec désespoir.
— Il faut tenter de lui laver l’estomac, Raquel. Anna, peux-tu nous aider ? Dis-nous point par point ce que tu sais.
Tandis que Raquel préparait un émétique et le faisait couler dans sa gorge afin de maîtriser les spasmes de l’homme qui rejetait le peu qu’il avait encore dans l’estomac, Anna se lança dans une grande explication.
— Ça a commencé la semaine dernière. Vendredi, le Vendredi saint. La nuit précédente, celle du Jeudi saint, il a bien soupé et il avait l’air joyeux. Des amis lui ont rendu visite et, quand je leur ai porté du vin et quelques petites choses à grignoter, il m’a paru plus jovial que jamais. Il leur disait qu’il se sentait mieux et qu’il avait enfin pu faire ce qui lui était interdit auparavant.
— Une minute. Raquel, je ne crois pas pouvoir vider davantage son estomac. Donne-lui un quart de cette nouvelle préparation et ne le laisse surtout pas s’endormir. Fais de ton mieux pour le tenir éveillé. Alors, Anna, quelles sont ces choses qu’il lui était impossible d’accomplir ?
— Je n’en sais rien, maître Isaac, j’ai dû m’en retourner à la cuisine.
— Et le lendemain matin ?
— Il avait bon appétit – s’il ne jeûnait pas, c’est que le prêtre l’en avait détourné tant qu’il n’aurait pas repris plus de forces, mais il m’a dit qu’il se sentait tout courbatu. Il a ajouté que c’était entièrement de sa faute, il n’aurait pas dû se démener autant la veille. Peu après, j’étais en train de faire les lits quand il a sonné avec tant d’insistance que je suis arrivée en courant. Il était dans son
Weitere Kostenlose Bücher