Le guérisseur et la mort
palais de l’évêque.
— On me parle d’une extrême urgence, Votre Excellence. Êtes-vous souffrant ?
— Non, maître Isaac, mais il est vrai qu’il y a urgence. J’aimerais vous entretenir d’un sujet capital.
— Vous êtes bien certain de ne pas être malade ? insista le médecin. J’avais cru comprendre…
— Nullement, je me sens en excellente santé, maître Isaac. Cela concerne une affaire terrible survenue ce matin. Un décès. Le capitaine de la garde et le père Bernat s’efforcent en ce moment d’en savoir le maximum. Ils seront bientôt de retour pour me faire leur rapport.
— Vous les aviez déjà dépêchés, Votre Excellence ? s’étonna Isaac. Je suis allé au palais dès que l’on est venu me trouver mais, apparemment, les nouvelles m’ont précédé.
— C’est vrai, reconnut Berenguer. Le problème de maître Lucà va se poser avec plus d’acuité. L’un de ses patients est mort, maître Isaac. Ce matin, juste avant le lever du soleil.
— J’en ai également perdu un, Votre Excellence. Mais il est certain, dit sereinement Isaac, que si des officiers sont envoyés auprès de chaque mourant, nous autres médecins nous trouverons bientôt en difficulté. D’ordinaire, dans un tel cas, c’est un médecin – un guérisseur, un herboriste, qu’importe le nom – que l’on fait venir. Ce qui ne signifie nullement qu’il est responsable de la mort du malheureux.
— J’en conviens. D’abord le médecin, ensuite le prêtre. Je ne m’en serais pas inquiété si je n’avais eu cette longue conversation avec maître Jaume Xavier.
— Le notaire ? Il devait attendre auprès du lit du mort. J’en déduis que le défunt avait du bien.
— Non, cette conversation avec maître Jaume s’est tenue il y a deux ou trois semaines. Il m’a expliqué qu’une de ses clientes – une veuve, une certaine maîtresse Magdalena – voulait tester pour faire la répartition de son argent et de ses propriétés. Très justement, elle en laissait la majeure partie à son petit-fils, son seul parent. Elle donnait aussi de petites sommes à ses serviteurs, plus cinquante pièces au jeune maître Lucà pour le remercier de ses remèdes et de sa courtoisie à l’égard d’une vieille dame. Telles furent ses paroles exactes, le notaire m’en a assuré. Peu après avoir rédigé son testament, elle est décédée.
— Son trépas avait-il quelque chose d’étrange ?
— Non. Elle déclinait depuis quelque temps et l’événement ne surprit personne. Son précédent médecin, qui la traitait pour une fluxion de poitrine et pour des maux d’estomac, avoua son étonnement de la voir survivre aussi longtemps. Et la somme, certes bienvenue pour un jeune homme qui débute, n’avait rien d’exceptionnel.
— Il est tout de même venu vous en parler.
— Non, il a mentionné ce fait alors que nous évoquions un tout autre problème, mais il me l’a rappelé il y a quelques jours quand il m’a prévenu qu’un autre client souhaitait modifier son testament.
— Oui ?
— Cet homme avait perdu la plus grande partie de sa famille au cours des dix dernières années – entre la peste, la famine et les guerres, il ne se connaissait plus qu’un parent. Et il avait amassé une imposante fortune.
— Et aujourd’hui ?
— Pour certaines raisons qu’il expliqua à la grande satisfaction de maître Jaume, il voulait diviser équitablement sa fortune entre le diocèse de Gérone et maître Lucà. Avant-hier, le testament fut rédigé et signé en présence de témoins. Mais le client de maître Jaume est mort tôt ce matin.
— De quel mal souffrait-il ? s’enquit Isaac.
— J’allais vous le demander puisque vous étiez son médecin, me semble-t-il.
— Dans ce cas, dites-moi qui est mort, Votre Excellence, le pressa Isaac.
— Je ne l’ai pas fait ? C’est maître Narcís Bellfont. Que pouvez-vous me dire de lui ?
— Nous parlions donc du même homme. J’étais auprès de lui toute cette nuit, ajouta Isaac après un moment de réflexion. Ce fut une terrible expérience. C’était un homme jeune et robuste, Votre Excellence, et il n’aurait pas dû partir aussi prématurément.
— Dans ce cas, pourquoi consulter tant de médecins ?
— Votre Excellence se rappelle sans aucun doute son accident.
— Oui. L’été dernier, quand il est tombé de cheval et s’est brisé la jambe. Je pensais qu’il s’en était bien
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