Le guérisseur et la mort
corps le réclame. Essayez de ne pas vous agiter. C’est une belle journée, vous pouvez vous asseoir à l’ombre d’un arbre, toutefois gardez-vous de prendre froid. Si votre condition s’altère d’une manière ou d’une autre, faites-moi appeler, je vous en prie. Je vous regretterais si vous vous laissiez empoisonner.
— Vous croyez donc que cette fiole enfermait du poison ?
— J’en suis certain. Mais j’ignore s’il y a vilenie ou ignorance de la part du jeune maître Lucà. Me permettrez-vous d’emporter le flacon en question ? J’aimerais en étudier plus soigneusement le contenu.
— Je vous en prie, faites donc, maître Isaac. Je ne veux pas voir ce genre de chose sous mon toit !
Isaac rapporta donc le flacon chez lui, le déposa dans un coffret pris dans son cabinet et ramena le tout dans la cour.
— Pourquoi reprenez-vous le médicament de maître Lucà ? lui demanda Raquel. Les résultats ne vous satisfont pas ?
— Ce n’est pas le même, lui dit son père, mais il faut l’examiner lui aussi. J’ai besoin de deux grands gobelets, d’une carafe d’eau, d’une lanterne et de sa bougie, d’un morceau de papier ou d’étoffe et d’une cuillère. Apporte-moi tout ça ici.
— Ne serait-il pas plus facile de travailler dans votre cabinet ? Il y a du vent et…
— Justement. Je préfère que la brise souffle sur nous. Peux-tu également arracher Yusuf à ses études ? Un nez supplémentaire ne sera pas superflu.
Une fois Yusuf accouru et les objets rassemblés, chacun se plaça devant la table de la cour.
— Tout est prêt, papa. J’ai un morceau d’étoffe.
— Excellent. À présent je désire connaître la taille du gobelet.
— Oui, papa.
Elle le déposa devant lui. Il s’en saisit, en palpa la circonférence puis le reposa et en évalua la profondeur de sa main.
— Cela ira. Bien, emplis-le d’eau, Raquel, je t’en prie.
Elle s’exécuta.
— Il est plein à ras bord, papa.
— Ouvre le flacon et sens-le comme tu l’as fait l’autre jour. Puis passe-le à Yusuf.
— Il n’a pas la même odeur, dit-elle en le transmettant au jeune garçon.
— Hormis cette odeur de pourri, ajouta Yusuf en rendant le flacon à Isaac.
— Je crois que tu as raison. Raquel, qu’en penses-tu ?
— Je n’en suis pas certaine.
— Bon. Mets-en une goutte dans l’eau et remue. Ensuite, sens à nouveau mais pas de trop près.
— Oui, je vois ce qu’il veut dire. On dirait du chou pourri.
— Remplis l’autre gobelet d’eau pure et pose-le près de moi.
Du doigt, il effleura le contenu du premier gobelet, posa le doigt sur le bout de sa langue et s’empressa de se rincer la bouche et de cracher.
— Devons-nous en faire autant ?
— Prends le gobelet d’eau à la main pour le porter plus vite à ta bouche. Et surtout, n’en mets pas trop sur ta langue.
Raquel obéit sans rien dire.
— Je ne crois pas que Yusuf devrait s’y prêter, dit-elle ensuite. Il est plus jeune que moi, il en sentirait davantage les effets.
— Parce que tu les éprouves déjà ? Souviens-toi d’eux, de cette odeur aussi. Yusuf peut essayer s’il se dépêche de se rincer.
— C’était ignoble, seigneur, fit le garçon après s’être livré à l’expérience. Comme si ma bouche appartenait à quelqu’un d’autre.
— J’aimerais savoir ce qu’il advient quand on verse une goutte sur de l’étoffe, dit Isaac. Veux-tu t’y prêter, Raquel ? Pose ensuite le tissu sur la lanterne et observe de loin, je t’en conjure.
— Il devient brun, papa, et l’odeur est encore plus prononcée que dans le flacon. Surtout celle de chou pourri.
— Je la sens d’ici. Bien. Il y a trois manières de percer le secret d’un tel mélange. La jusquiame séchée présente une odeur étrange et déplaisante qui se renforce avec la chaleur. Ceux qui ont des nez exceptionnels, comme Yusuf, n’ont nul besoin de la goûter, leur odorat suffit. Une dégustation est toujours dangereuse. Je crois qu’on y a ajouté ici la racine séchée de la plante que les Grecs dénomment « plante de la mort ». Il faut moins d’une goutte pour tuer plusieurs hommes.
— Dans ce cas, pourquoi faites-vous ça ?
— Quand on est peu sûr de ce que renferme une préparation, cela renseigne mieux que bien d’autres expériences.
— Il est évident que maître Lucà a fait porter un flacon de poison, dit Raquel.
— Non, un messager a apporté ce poison
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