Le guérisseur et la mort
autre idée. Je crois que l’on peut trouver une solution différente.
Isaac se rendit sur le parvis de la cathédrale, dédaigna l’entrée principale du palais de l’évêque et gagna les quartiers des gardes. Quelques instants plus tard, il conversait avec le sergent Domingo en qui il avait une confiance absolue.
— Sergent Domingo, dit-il en posant son bâton contre le mur, je suis ici pour vous parler d’une chose dont vous ignorez peut-être tout et pour vous demander de m’aider si cela vous est possible.
— Dans ce cas, pourquoi ne vous installez-vous pas confortablement, maître Isaac ? Prenez du vin et racontez-moi ce que je ne sais pas.
— La nuit de la mort de maître Narcís Bellfont, un messager lui a apporté un flacon de médicament contre la douleur. Il a expliqué à la servante que c’était de la part du jeune Lucà. Maître Narcís l’a bu et il a trépassé.
— Je le sais, oui.
— Je n’en doutais pas. Pour des raisons qui me sont propres, j’ai demandé à maître Mordecai de feindre la maladie et d’appeler le jeune Lucà. Après avoir été soigné de façon tout à fait normale, recevant pour cela deux fioles de médicaments différents – qu’il ne but pas mais me confia en vue d’une analyse –, un messager lui apporta un flacon empli d’un poison violent. S’il l’avait pris, les effets eussent été des plus déplaisants : trouble de l’esprit, grande chaleur et sécheresse de la bouche et de la peau, douleur intolérable, convulsions, et, pour finir, la mort.
— Exactement comme Joan Cristià.
— Oui, à peu près. Les choses étant ce qu’elles sont, on pourrait presque croire que ce produit fut concocté par le même fourbe.
— Quel fourbe ? demanda Domingo. Lucà ?
— Je ne le crois pas aussi habile, avec des plantes tout au moins. Mais une personne sait quel est le créateur de ces poisons.
— Le messager.
— Oui, à moins qu’il ne soit lui-même le criminel, réfléchit Isaac. La difficulté tient à ce que nul n’a vu ou entendu parler distinctement ce messager. Il y a toutefois une exception…
— L’empoisonneur ?
— Non, un gamin de neuf ans appelé Tomás, venu du nord le jour de l’orage, c’est cette nuit-là que Mordecai a reçu la fiole de poison. Le messager portait une chaude pèlerine à capuchon ainsi qu’il l’avait déjà fait auparavant – un habit de trop belle qualité pour un pauvre diable. Au pire de l’orage, Tomás et lui-même se sont disputé un abri sous l’arche du pont. La pèlerine s’est alors enfuie en direction de Figueres. Je crois qu’il vit par là. Tomás l’a vu très nettement à la faveur d’un éclair.
— Dans ce cas, pourquoi n’a-t-il pas été amené à témoigner ? s’étonna Domingo.
— Parce que le jour où nous avons découvert son existence, quelqu’un l’avait assommé à coups de gourdin avant de le jeter dans la rivière. Par chance, il a échoué sur un banc de graviers, le visage hors de l’eau.
— Où est-il à présent ?
— Chez Romeu. Le menuisier se sent responsable de Lucà. Après tout, c’est son locataire.
— S’il survit, ce pourrait aussi être son gendre, m’a-t-on dit. Même s’il ne manque pas de candidats à cette fonction !
— Maîtresse Regina ne donne pas son cœur facilement. J’espère juste que son affection ne l’entraîne pas vers un autre cas désespéré.
— Et vous voulez, en dépit des ordres reçus et de mes responsabilités, que je quitte mon poste pour m’aventurer sur la route de Figueres à la recherche d’une pèlerine à capuchon, c’est bien ça ?
— Oui. À mon avis, c’est une personne qui n’est pas ici depuis plus d’un mois. Et peut-être a-t-elle un ami dans l’étude d’un notaire.
— Je ne commettrais une telle imprudence pour personne, maître Isaac, dit le sergent Domingo, mais je vous dois beaucoup. Je vais prendre Gabriel avec moi. Avec son regard perçant, il peut voir par la nuit la plus noire – même si la lune est là aujourd’hui. À votre avis, cet homme se trouve-t-il loin d’ici ?
— Pas très loin, deux ou trois lieues, tout au plus. Il semble faire souvent l’aller et retour.
— Bien. Un individu portant pèlerine dont l’ami travaille chez un notaire. Ça ne devrait pas être trop compliqué, commenta Domingo avant de terminer son vin.
Ils avaient déjà visité cinq fermes situées sur la route du nord et s’approchaient
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