Le guérisseur et la mort
Daniel. J’ai pourtant fait de mon mieux.
— Avec qui avez-vous voyagé ? demanda Raquel.
— Tout d’abord avec un courrier qui portait des lettres à Perpignan. Il s’est arrêté dans une ferme pourvue d’écuries, juste à l’entrée de la ville. Il y passe souvent la nuit. J’ai laissé mon cheval et je suis venu à pied jusque chez vous.
— J’en suis heureux, dit Isaac. Vous arrivez à point nommé. Êtes-vous passé chez vous ? Avez-vous eu le temps de vous rafraîchir et de vous changer ?
— Non, maître Isaac, et je vous avoue que j’apprécierais de chasser la poussière du voyage, mais je tiens d’abord à vous entendre. Je me changerai ensuite.
— Bien. Vous trouverez de l’eau et tout ce qui vous est nécessaire dans mon cabinet. Raquel, veux-tu donner une bougie à Daniel ? Nous l’attendrons dans la pièce commune.
Quand Daniel revint, une chaise avait été installée près du feu devant une table où Raquel avait disposé les restes de leur souper : un bol de soupe fleurant bon les épices, une assiette de viande froide, du pain et des olives.
— C’est splendide, dit le jeune homme. Je ne me rendais pas compte que je pouvais avoir aussi faim.
Il mangea à la hâte et se tourna vers Isaac.
— Messire, je sais que vous êtes pressé de savoir ce que j’ai découvert. J’ai tout inscrit sur un document que je tiens dans mon paquetage, mais j’ai également mémorisé chaque détail.
— Parfait, mais continuez à manger, je vous en prie. Entre deux bouchées, vous pourrez me dire ce que vous avez appris sur l’enfant de la cousine de Mordecai.
— La chose la plus importante, c’est que le fils de Faneta est mort, dit sans ambages Daniel. Tout comme Faneta. Ils se sont éteints peu avant le temps des Pénitences, à l’automne dernier. Aucun de ces imposteurs ne peut donc être Rubèn.
— Morts ? Vous en êtes sûr ?
— Maîtresse Perla, qui est la mère de Faneta et la grand-mère de Rubèn, me l’a révélé en personne. Même s’ils n’étaient pas morts, aucun des hommes qui se font passer pour Rubèn ne lui ressemble. Le fils de Faneta était grand, mince, avec un teint et des cheveux bruns ainsi que des yeux verts. Il avait un ami qui pourrait très bien être Lucà. J’ai trouvé au marché un gamin qui les a vus ensemble à plusieurs reprises. L’ami vivait aux abords de la ville ; il aurait quitté Majorque depuis plus d’un an.
— Pour aller où ?
— Il était apprenti. Il s’en est allé aussitôt son apprentissage terminé. La dame rencontrée à l’atelier de son maître ignorait totalement où il était parti. Selon elle, il avait certifié à son maître, un homme malade, qu’il reviendrait. Il ne l’a pas fait. Je n’ai pu parler au maître, elle ne savait pas ce qu’il était devenu. Mort, sans nul doute.
— Quelle profession exerçait donc ce personnage ?
— Il était menuisier et ébéniste.
— Voilà qui est intéressant. Autre chose ?
— Eh bien… ce gosse avait un second ami qui vivait près des tanneries, un quartier de la ville des plus mal famés. J’ignore son nom, mais mon petit informateur m’y a emmené. Quand j’ai expliqué ce que je désirais à la femme habitant dans cette maison, les voisins se sont jetés sur moi. Je n’ai pas été blessé, ajouta-t-il en souriant, mais ce ne fut pas très agréable. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’on s’en prenait à moi. Apparemment, mes recherches déplaisaient à quelqu’un.
— Il n’y avait pas de troubles en ville ? À cette époque, c’est plutôt monnaie courante.
— Non, Majorque était calme, dit Daniel en reprenant du pain et de la viande froide. Ils n’en voulaient pas à un membre de notre communauté, mais bien à moi-même. La première fois, on m’a capturé, ligoté et jeté dans une cuisine.
— Capturé ? Ligoté ? dit Raquel, tiraillée entre le rire et la peur. Je ne peux y croire. Que s’est-il passé ? Comment vous êtes-vous enfui ?
— Une fillette m’a aidé. Elle s’appelle Benvolguda. Elle m’a apporté un couteau et j’ai tranché mes liens. Ensuite, elle m’a montré un trou dans le mur par où me sauver. Ce ne fut pas très héroïque, j’en conviens. J’étais très sale quand je me suis présenté à maître Maimó, qui est un gentilhomme extrêmement élégant.
— Il semble que vous ayez eu un voyage des plus mouvementés, dit Isaac de manière
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