Le guérisseur et la mort
pourtant si propre à l’homme que son fils de huit ans puisse agir de la sorte sans que chacun s’en étonne ?
Que craignaient-ils plus encore qu’un châtiment prompt et injuste ? Aucune réponse ne s’imposait à lui. Il finit par se lever pour sortir dans la cour. La maison somnolait ; aucun être vivant ne s’affairait en dehors du chat qui vint se frotter à ses jambes.
— Tu le sais, toi, pourquoi tu refuserais avec mépris de te défendre devant un tribunal ?
Mais le chat ne lui répondit que par un miaulement interrogateur qui, aussi sage fût-il, ne fit en rien progresser sa réflexion.
Le médecin prit son bâton, traversa la cour et ouvrit le portail. D’un pas rapide, il parcourut les rues du Call en direction de la porte et réveilla le gardien somnolent.
— Jacob, si quelqu’un me cherche, je rends visite à un détenu de la prison épiscopale. Je serai bientôt de retour.
Le gardien bâilla et hocha la tête bien que le médecin ne pût le voir. Mais Isaac traversait déjà la place en rythmant sa marche de son bâton.
— Lucà, dit Isaac d’un ton sec dès qu’il eut la permission de voir le prisonnier, pourquoi refusez-vous de vous défendre ? Êtes-vous trop fier pour tenir compte de notre jugement ou de celui du tribunal ?
— Je ne comprends pas votre question, maître Isaac. Je ne suis pas fier. Pourquoi le serais-je ?
— Chacun sait que vous avez le don de plaire à autrui par vos manières et votre langage. Ce pourrait être une source de fierté.
— Uniquement si c’était vrai et si c’était un comportement appris à force d’effort et d’intelligence. Certains hommes ont le visage déformé et ne peuvent sourire sans paraître menaçants. Doivent-ils s’enorgueillir de semer la terreur dans les cœurs ? Je ne le crois pas. C’est un accident, pas un don.
— Dans ce cas, peut-être votre silence a-t-il pour but de protéger quelqu’un. Votre défense nuirait-elle à une personne que vous estimez ?
— Qui donc ? Mon silence peut-il aider Regina ou Romeu ? Qui d’autre m’est venu en aide ? De qui d’autre pourrais-je me soucier ?
— Une personne vivant à Majorque. Votre père, votre mère, un membre de votre famille. Ou votre maître.
— Rien ne peut les aider, maître Isaac, ou leur faire du mal.
— Dans ce cas vous ne nous faites pas confiance quand nous croyons à la vérité que vous proclamez.
— Maître Isaac, si je savais où réside la vérité, je le crierais de toutes mes forces. Mais je ne puis dire ce que j’ignore, et quand on ne connaît pas la vérité, on ne peut même pas mentir. C’est aussi simple que ça. Je n’en dirai pas plus.
Plongé dans ses pensées, le médecin reprit son bâton et quitta la prison. La réflexion de Lucà ne lui sortait pas de l’esprit. On ne peut mentir quand on ignore la vérité. C’était si clair, si évident. Sans la vérité pour vous guider, on ne peut que plonger dans la confusion. Avant que ses réflexions ne l’entraînent plus loin, il entendit courir dans sa direction.
— Seigneur, dit Yusuf à voix basse, je crois que notre patient est prêt à vous parler.
— Il va bien ?
— Sa tête le fait encore souffrir, mais son comportement est tel que nous l’espérions.
Isaac dut se satisfaire de ces paroles, que l’on pouvait interpréter de bien des façons. Il accompagna donc le garçon jusqu’à la maison de Romeu.
— Il n’a aucun souvenir d’hier soir, papa, dit Raquel. Je lui ai dit qu’il s’était cogné et qu’il devait rester tranquille.
— Depuis combien de temps est-il réveillé ?
— Pas très longtemps. Il a ouvert l’œil, bu de l’eau et murmuré des paroles incompréhensibles, puis il est retombé dans le sommeil. Nous avons attendu un instant pour voir ce qui se passerait avant d’aller vous chercher. Et puis, il s’est vraiment réveillé. Il avait très soif et pouvait enfin parler.
Le jeune garçon était calme, les yeux grands ouverts. Isaac s’assit près du lit et écouta sa respiration.
— Comment t’appelles-tu ? On ne peut pas dire tout le temps « le garçon » maintenant qu’on te connaît.
— Tomás. C’est mon nom.
— Dis-moi comment tu te sens, Tomás. Je suis médecin et je veux que tu ailles mieux.
— Ma tête me fait mal.
— Combien de doigts vois-tu ? dit Isaac en dissimulant trois doigts sous son pouce avant de lever la main.
— Un, naturellement. Mais comment
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