Le Hors Venu
Comment sont-ils venus ?
— Ils sont arrivés voici plus d’un mois à bord de l’esnèque portant les présents destinés à votre époux de la part du roi Henri I er Plantagenêt. Avant de venir à Palerme, les bateaux avaient fait escale à Syracuse, ville dans laquelle les deux hommes – savaient-ils qu’ils étaient surveillés ? -disparurent.
Marguerite se rappela l’arrivée remarquée de Magnus le Noir et de ses guerriers {1} au palais normand de Palerme.
— Les présents du roi d’Angleterre... Il est vrai que mon époux ne les a toujours pas vus. Mais, au fait, où donc avez-vous logé ces redoutables hommes du Nord ?
— Je voulais les inviter au palais, ma reine, mais ils ont préféré rester dans leur bateau ancré dans le port de la Cala.
— Bien, bien. Voilà qui nous promet enfin quelque vraie distraction. Si nous n’avions les eschets... N’est-ce pas, mon cher Maion ? Des guerriers fauves d’un côté, un prétendant au trône de l’autre. Amenez-moi ce dernier dès que vous le pourrez. Que je sache si je dois le compter parmi les hôtes du palais... ou ceux de la prison.
— Je vous en fais promesse, ma reine. Mais d’ici là, permettez-moi de prendre congé, je dois rendre ma réponse au messager et j’ai quelques préparatifs à achever pour l’arrivée du roi.
— Allez, cher Maion.
L’émir s’inclina très bas, effleurant du bout des lèvres les doigts de la reine.
11
Je suis prêt. Cela fait plusieurs jours que je ne mange plus et que je feins une lente agonie. Je vois les yeux de la tarentule scintiller dans son tunnel de toile. Je suis triste de l’abandonner et je le lui dis.
Le gardien va bientôt pousser la porte. Il posera la civière des morts contre la paroi, m’enfoncera sa lance dans le flanc puis ôtera mes chaînes avant de jeter mes restes au charnier.
12
La nuit était venue et, avec elle, un silence rompu par le pas cadencé des patrouilles. Les jardins du palais normand n’étaient plus qu’une masse sombre où bruissaient l’eau des fontaines et les feuillages des palmiers. Les singes apprivoisés dormaient sur leurs coussins. Seule la clarté rouge des braseros éclairait les couloirs et les enfilades de pièces. Sortant de la chapelle palatine, un moine passa en marmonnant, sa capuche sur la tête. Le soldat de garde devant la porte de la salle d’audience ne lui prêta guère attention. Ses pensées allaient à Leila, une jeune servante qu’il courtisait ardemment et qui, espérait-il, céderait bientôt à ses avances. Le religieux s’éloigna.
Le visage de Leila et son corps souple flottaient devant ses yeux. Le soldat ne prêta pas attention au mouvement des tentures qui s’écartaient derrière lui.
Il sentit un souffle léger sur sa nuque. Quand il se retourna, il était trop tard. Un visage était contre le sien, une main l’immobilisait. Il eut un soubresaut, ses yeux se révulsèrent. Une lame l’avait transpercé et quand il toucha le sol, il était déjà mort. Le meurtrier l’enjamba et poussa la porte de la grande salle. Quelques secondes plus tard, il ressortait et disparaissait aussi soudainement qu’il était apparu. Sur le sol, en évidence, il avait laissé un morceau de vélin où était inscrite une longue phrase.
Les soldats qui trouvèrent le corps dirent n’avoir rien vu ni rien entendu. Pourtant, au matin, dans le couloir qui menait au harem et au tiraz, l’atelier de tissage, on trouva un second cadavre, celui d’un fityan , un eunuque du palais, poignardé lui aussi.
À l’intérieur de la salle d’audience gisait une cape d’apparat en lambeaux, que tous reconnurent appartenir au roi Guillaume I er lui-même.
13
Il en était du harem comme du reste du royaume. Certains étaient les maîtres, d’autres les serviteurs. Théodora appartenait à la première catégorie. Byzantine de haute naissance, les aléas d’une traversée en Méditerranée l’avaient jetée enfant dans la prison dorée du harem. Sa famille la croyait morte et les Normands n’avaient jamais demandé de rançon. La petite fille était devenue une femme. Sa beauté et son esprit en avaient fait une favorite. Trouvant un charme certain à ce côtoiement charnel avec le pouvoir, la jeune Théodora devint à quatorze ans l’amante de Roger II puis, quelques années plus tard, la favorite de son fils Guillaume I er . Elle était l’une de celles avec qui il fallait compter dans cet univers complexe où se
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