Le Hors Venu
fleurs sauvages et de coupes de citrons, s’approprier l’odeur d’épices et de lavande qui imprégnait les lieux... Dans une alcôve, cachée par de somptueux rideaux de dabiky d’Égypte à fleurs dorées, était le lit de la reine. Sur sa coiffeuse, une brosse au manche d’ivoire, un miroir cerclé d’or et d’argent, quelques bijoux épars... Pouvoir contempler tout cela, c’était déjà en prendre possession.
Un lévrier à la robe couleur de miel vint à Maion de sa démarche dansante. C’était le favori de la reine, une bête craintive répondant au nom de Luna.
L’émir s’arrêta un instant, flattant l’encolure de l’animal avant d’écarter les plis d’une tenture de drap d’Antioche à fond rouge décoré d’oiseaux bleus. Maion s’avança sur le seuil d’une chambre aux murs blanchis. Frémissant, le lévrier s’immobilisa à ses côtés.
La pièce n’était pas sans rappeler une cellule de moine. C’était là où Marguerite se réfugiait, où elle étudiait. Là aussi où lui arrivaient les nouvelles du royaume et où elle rédigeait de sa large écriture les missives qu’elle dépêchait à Pampelune à l’adresse de sa lointaine famille de Navarre. Pour l’instant, la femme de Guillaume I er se tenait assise à sa table, absorbée par la lecture d’un parchemin. A ses pieds, des jeunes filles cousaient en silence. La scène était paisible et Maion n’osa bouger.
Avait-elle senti sa présence ? Marguerite de Navarre releva la tête et le fixa. Il y avait dans le moindre de ses gestes une grâce hautaine et une gravité que l’émir appréciait. Cette femme-là n’avait pas besoin d’ornement pour exister et même le somptueux fermail byzantin qui retenait son mantel n’était rien comparé au regard direct de ces yeux qui vous donnaient l’impression de compter parmi les puissants.
— Ma reine ! la salua-t-il en s’inclinant très bas.
Il y avait plus dans ce mot que le salut d’un émir à sa souveraine.
— Laissez-nous ! ordonna Marguerite.
Les femmes obéirent, non sans s’être respectueusement courbées. La plupart venaient du lointain pays de Navarre et se seraient jetées au feu pour leur reine. Maion referma les tentures qui isolaient la chambre. Le silence retomba et il se garda bien de l’interrompre. Il goûtait ces trop rares moments de tête-à-tête avec la fille du feu roi Garcia Ramirez. Marguerite aimait gouverner et aucune tiare, aucune parure offerte par son époux ou son père n’aurait pu rivaliser avec la fascination que le pouvoir exerçait sur elle. Elle avait trouvé en l’émir un homme qui la comprenait et savait lui offrir les seuls joyaux qu’elle convoitait : décrets, secrets d’État et décisions politiques... Tout passait par cette pièce avant même que d’être présenté au roi qui, le plus souvent, acquiesçait. Comme aux eschets, songea Maion, le roi était une pièce beaucoup moins puissante que la reine ! Pourtant, le perdre lui, c’était perdre la partie.
— J’ai appris, cher Maion, que mon roi et mari vous a écrit.
— Ma reine est toujours aussi bien informée.
Maion n’ignorait pas le réseau d’agents payés par Marguerite, des agents qu’il rémunérait aussi à son insu.
— Votre époux s’est vaillamment battu, ajouta-t-il.
— Je le sais, Maion, mais ce n’est pas un homme politique de la carrure de Roger II. Les jeux de la chair l’amusent davantage que ceux du pouvoir. L’agitation s’est-elle calmée à la Kalsa ?
— Oui, les derniers récalcitrants sont soit en prison soit au pilori.
— Ce n’était pas une mesure très populaire, mais nos amis les Lombards ont apprécié le cadeau que nous leur avons fait.
— Je le crois aussi.
Marguerite soupira.
— Que nous réserve l’avenir, cher Maion ?
Une fois de plus, l’émir ne put s’empêcher de remarquer à quel point les pensées de la reine et les siennes étaient proches, leurs soucis identiques.
— Pour l’heure, nous allons devoir vider les prisons d’une façon ou d’une autre.
— Que périssent nos ennemis ! répondit froidement Marguerite. Et nos colonies africaines ? Avons-nous un espoir de reprendre Sfax aux Almohades ?
— Sfax est perdue, et ses habitants ont tous été massacrés par les Sarrasins. Il nous faudrait un Georges d’Antioche pour la reconquérir et notre marine manque d’un amiral de son envergure.
— N’avez-vous donc rien à m’apprendre qui me
Weitere Kostenlose Bücher