Le Hors Venu
port de la Cala. Le printemps s’achevait, juin s’annonçait avec les premières chaleurs et les prisonniers affluaient dans les prisons royales.
3
Chaque jour est un trait sur le mur. Les semaines ont passé et personne n’est venu me chercher. On a continué à me jeter de la nourriture comme à un chien. Un souffle chaud et une clarté plus blanche ont envahi mon cachot. Des centaines de punaises et de poux prolifèrent dans ma couche, je me gratte jusqu’au sang et m’arrache les cheveux. Avec la chaleur sont apparus des mouches et des moustiques. L’araignée en a dévoré quelques-uns. Elle plante ses crochets venimeux dans leur nuque puis elle leur suce la tête et broie le corps tout entier qu’elle enfourne dans sa bouche. Enfin, quand elle a fini, elle recrache les restes et les balaie loin de son gîte. Après chacun de ses repas, elle fait sa toilette et brosse son corps avec ses pattes.
De violentes pluies se sont déchaînées. Pour la première fois depuis longtemps j’ai senti l’odeur soufrée de l’orage. Le bruit d’eau sous ma paillasse est si puissant que j’ai parfois l’impression que le sol tremble.
Encore des traits sur le mur. Je n’ose plus les compter. D’autres prisonniers sont venus. J’ai entendu leurs pas dans les couloirs. Quelque chose dans la prison a changé. Les bruits de chaînes, les coups sur les murs, les appels de détresse, les allées et venues sont incessants, de jour comme de nuit. Que vais-je devenir ? Une odeur flotte désormais jusqu’à moi, celle, fade et écœurante, du sang et des charniers.
Comme si elle était perturbée, elle aussi, par ce vacarme, la tarentule, qui jamais ne quitte son repaire, s’est laissée glisser à terre, filant vers ma paillasse. Je me suis levé d’un bond, criant et jurant, donnant de violents coups de pied pour la chasser. Quelques instants plus tard, elle se terrait à nouveau dans sa cachette. J’allais me rasseoir quand j’ai aperçu quelque chose sous la paille, là où il n’y aurait dû avoir que de la terre battue... Je me suis agenouillé, achevant de repousser ce qui me sert de litière et d’urinoir. C’est une trappe carrée suffisamment grande pour permettre le passage d’un homme. Elle est scellée, mais le joint s’effrite sous mes ongles. Pourquoi un regard dans un cachot ? C’est de là que vient le bruit de torrent. Quelque canalisation, un égout peut-être ? J’essaye de réfléchir, mais n’y arrive pas tant les hurlements de souffrance qui retentissent autour de moi me troublent.
Aurai-je assez de force, une fois que j’aurai ôté le mortier, pour la soulever ? Que trouverai-je au-dessous ? Et puis cela ne résout pas le problème de mes chaînes. La seule façon de sortir d’ici, c’est de mourir. Les gardes vous plantent leur lance dans le corps afin de constater la mort, puis ils vous détachent et vous jettent à la fosse commune.
Gamaliel, Gamaliel...
Le soleil a quitté le soupirail, mon réduit s’est assombri. Je voudrais m’approcher, apercevoir le ciel, respirer autre chose qu’une odeur d’excréments, mais mes fers m’en empêchent, je ne peux que rester à patauger dans mes immondices tel un sanglier dans sa bauge.
4
J’ai peur. J’ai croisé tant de fois la mort que je pensais savoir ce qu’était la peur. Mais non, je ne le savais pas. Aujourd’hui, je tressaille à chaque frôlement, chaque fois qu’un geôlier ouvre le guichet. La peur me possède, il ne reste rien de moi qu’elle ait épargné. Gamaliel, Gamaliel...
Je ne suis plus qu’attente. Quand viendra-t-on me chercher ? Que va-t-on me faire subir ? Quelle mutilation, quel tourment sera le mien ? À chacune de ces questions, j’ai l’impression que mon âme se défait, qu’elle se dissout comme le sang sur le fer du bourreau. Est-ce cela l’Enfer ?
Pour ne pas perdre la raison, je suis revenu à l’araignée. À force de patience, j’ai fini par l’apprivoiser. Immobile dans son entonnoir de toile, ses yeux luisant dans la pénombre, elle attend. Je lui ai attrapé une mouche vivante que je lui tends, elle jaillit de sa cachette, s’en saisit délicatement puis lui donne le coup de grâce. La mort est instantanée.
Un cri plus strident que les autres a réussi à m’arracher à mon observation. Un cri aigu comme celui d’une femme. Je me suis bouché les oreilles, mais je l’ai entendu qui filtrait à travers mes doigts... Et puis, plus rien. Et c’était encore
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