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Le Hors Venu

Le Hors Venu

Titel: Le Hors Venu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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drôle, j’ai rêvé d’Aubré {2} , le moine croisé sur la lande de Lessay, et de sa prédiction. Elle était incomplète finalement. Pourquoi ne pas m’avoir appris tout cela plus tôt ? J’aurais peut-être fait un autre choix que celui de venir ici.
    — Je ne crois pas. La prédiction devait s’accomplir, le moine avait raison, vous voilà « loin, fort loin » et vous êtes allé « par terre et par mer » dans ce pays « où l’on parle d’autres langues que la nôtre, où l’or et l’argent tapissent les murs, où les femmes sont si belles qu’on les enferme... ».
    L’Oriental se tut, songeur.
    — La suite, « vous serez prince parmi les princes, et mendiant aussi », se réalisera-t-elle ? demanda Tancrède. Quelle légitimité ai-je à être ici ? Et pourquoi deviendrais-je un prince ?
    Sentant le trouble de son protégé et s’en voulant d’en être la cause indirecte, Hugues répondit avec rudesse :
    — Ici est votre fief, ici vous êtes né. Je vous avais dit, souvenez-vous, que bien des choix s’offriraient à vous et je le crois toujours. Cela ne veut pas dire que cela sera simple. Mais cessons ces bavardages, nous n’avons pas de temps à perdre, ajouta l’Oriental en se levant et en recouvrant les braises de terre et de cendres. Palerme est proche. En selle !
    Quelques instants plus tard, alors que le jour pointait à peine, ils débouchaient sur une voie empierrée où Hugues prit le galop. Depuis qu’ils avaient quitté Syracuse, l’Oriental les avait menés à un train d’enfer et à aucun moment il n’avait voulu faire halte dans ces confortables relais que Tancrède avait aperçus au long du chemin et que les Arabes nommaient « caravansérails ».
    Ils s’arrêtèrent un moment en haut d’un mont, retenant leurs bêtes d’une main ferme. La brume matinale s’était dissipée. Au loin apparaissait une ville d’une blancheur éclatante au milieu d’un cirque de montagnes que fermait une mer d’un bleu intense.
    — Nous sommes au sommet du mont Caputo et devant vous s’étendent la Conca de Oro et Palerme, fit Hugues de Tarse. Dans moins d’une heure, si Dieu le veut, nous serons là-bas.
    Tancrède ne s’était pas attendu à tant de beauté ni à ressentir tant d’émotion. Depuis l’enfance, il n’avait cessé d’errer avec son maître et là, soudain, devant ce paysage, les larmes lui montaient aux yeux. Malgré tout ce qu’il venait d’apprendre et qu’il mettrait sans doute une vie entière à comprendre et à dépasser, allait-il enfin devenir autre chose qu’un « hors venu », comme disaient les Normands ? Pour lui, comme pour les autres, il avait été celui qui vient d’ailleurs et maintenant qu’il apercevait ces remparts étincelants, ces vallons et ces collines cernées de falaises abruptes, il désirait plus que tout que l’errance s’achève.
    Son regard s’égara vers le port où se balançaient une vingtaine de navires avant de se perdre dans le turquoise de la mer. Il ravala ses larmes.
    — Là-bas, ce sont les Éoliennes, reprit Hugues en désignant un chapelet d’îles à l’horizon. Vous rappelez-vous ? Nous les avons longées avant de gagner Syracuse.
    Alors qu’il prononçait ces mots, une ombre était passée dans les yeux du Gréco-Syrien. Il songeait à celle qui avait été leur compagne de voyage : Eleonor, fille du seigneur de Fierville {3} .
    La jeune femme, elle avait tout juste dix-sept ans, avait quitté la Normandie pour épouser un homme qu’elle n’avait jamais vu, le très riche comte de Marsico, proche du roi Guillaume I er . Embarquée à Bar-fleur comme eux, elle avait bravé tous les dangers, leur sauvant même la vie grâce à ses talents d’archer. Comme à chaque fois qu’il l’évoquait, l’Oriental sentit le monde vaciller autour de lui. Etre éloigné d’elle, ne pas savoir le sort qui lui avait été réservé, le rendait fou. Sans doute parce qu’ils avaient résisté à l’attirance qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, Hugues et Eleonor étaient tombés éperdument amoureux. Un amour aussi violent que désespéré puisqu’il devait s’achever avec la traversée. Alors qu’ils allaient accoster, les deux amants s’étaient dit adieu, puis l’escorte armée du comte de Marsico avait emmené la promise vers son destin. Hugues avait cru mourir, mais le pire était encore à venir. Au cours du banquet donné le soir même en son honneur, il avait appris

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