Le Huitième Péché
police.
Gonzaga se leva du fauteuil dans lequel il avait passé les deux derniers jours à réfléchir. Il se dirigea ensuite vers la fenêtre de son bureau et regarda la place Saint-Pierre au travers des stores baissés. À cette heure de la journée, l’immense place entourée de la colonnade du Bernin était encore calme et déserte.
Gonzaga se retourna :
— Dites au cardinal Moro que je ne souhaite pas que la police intervienne. Soffici va réapparaître, tout comme moi. Il est possible qu’il se trouve dans un confessionnal de l’église San Giovanni à Laterno ou à San Pietro de Tortosa à Vincoli, ou alors à Santa Maria Maggiore.
Abate regarda Gonzaga avec étonnement :
— Éminence, pourquoi citez-vous précisément ces églises-là ?
Agacé, le cardinal souffla bruyamment par le nez.
— Je n’ai jamais prétendu qu’on allait trouver Soffici dans une de ces églises. J’ai seulement envisagé l’hypothèse selon laquelle mon secrétaire pourrait être retrouvé dans une de ces églises. C’est donc si difficile à comprendre ?
— Non, Éminence, je comprends ce que vous voulez dire.
— On m’a bien déposé dans une église, non ?
Gonzaga s’interrompit brutalement. Il gardait les yeux rivés sur le plateau du petit-déjeuner que le monsignor venait de poser sur une petite table.
— J’ai commandé un petit-déjeuner sans charcuterie et sans jambon ! s’emporta Gonzaga. Et qu’est-ce que vous m’apportez, monsignor ? Du jambon !
— Mais nous ne sommes aujourd’hui ni un vendredi ni l’un des jours d’abstinence prescrits par les lois de notre Église. Les religieuses sont d’avis que vous devez reprendre des forces, Éminence.
— Ah, ah ! les religieuses sont d’avis que…
Le cardinal secrétaire d’État prit sur son bureau une enveloppe aux armes du Vatican, dans laquelle il fourra les tranches de jambon en les prenant une à une avec les doigts. Lorsque l’assiette fut vide, Gonzaga humecta le bord de l’enveloppe avec la langue et la ferma avant de la tendre à Abate, qui n’en croyait pas ses yeux.
— Les vieilles dames feraient mieux de se préoccuper de leur propre santé, faites-le-leur savoir !
Abate s’inclina avec grâce, comme si on venait de lui confier le missel pour la messe du matin et non une enveloppe contenant cinq tranches de jambon. Puis il disparut comme il était venu.
Au cours de sa carrière cléricale, le cardinal ne se souvenait pas d’avoir jamais ouvert lui-même les volets de l’endroit où il résidait. Dans le Palais apostolique, c’était aux religieuses que cette tâche revenait. Elles s’occupaient aussi de faire le ménage et les lits. Mais, ce matin-là, Gonzaga ouvrit en personne les grandes persiennes de sa fenêtre.
Puis, affamé, il se jeta sur son petit-déjeuner, qui était encore suffisamment copieux, même sans jambon : quatre œufs brouillés sur un plat d’argent, trois sortes de fromages, du miel, trois confitures, deux paninis, du pain aux céréales et du pain blanc, un petit ramequin de semoule au lait avec des raisins secs et des noisettes, une grande tasse de lait ribot et une théière de thé anglais.
Le petit-déjeuner du cardinal durait habituellement trois quarts d’heure, en comptant la lecture des journaux. Mais, ce matin-là, il se termina brutalement au bout de vingt minutes sans que Gonzaga eût le temps de déguster sa semoule. Le cardinal lisait le Messagero quand il avisa, dans les pages consacrées aux nouvelles locales, les lignes suivantes :
Découverte d’un cadavre
non identifié dans la Fontana di Trevi
Rome – Au cours de sa ronde habituelle, le responsable des fontaines, Carlo di Stefano, a découvert hier vers 6 h, dans le bassin de la Fontana di Trevi, qui attire quotidiennement des milliers de touristes, le cadavre d’un homme non identifié. L’homme, âgé d’environ une cinquantaine d’années, flottait à plat ventre dans l’eau, les bras en croix. D’après les premières constatations, l’homme serait décédé entre 2 h et 6 h du matin. Il n’a pas été jusqu’à présent possible d’établir si l’inconnu est tombé dans la fontaine en état d’ébriété et s’y est noyé, ou s’il s’agit d’un meurtre. Le cadavre a été transporté à l’Institut médicolégal universitaire pour y être autopsié. La police demande à toute personne susceptible de livrer des informations pouvant faire avancer l’enquête de se
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