Le Huitième Péché
m’a fait une offre. Au fait, où est-il ?
— Comme beaucoup de membres de notre confrérie, Anicet est un noctambule. Vous ne le verrez que rarement de jour. Il m’a demandé de vous accueillir et de vous montrer votre cellule. Suivez-moi !
Malberg trouva le procédé étrange et déroutant.
L’atmosphère à l’intérieur de la forteresse était pesante, moins à cause de la tristesse des lieux et de l’allure sinistre des murailles qu’à cause du vide et du silence qui étouffaient toute gaîté.
— Anicet est-il aussi mystérieux qu’on peut le croire en le voyant ? demanda Malberg en suivant Gruna dans un long corridor.
Au bout d’une vingtaine de mètres, ils obliquèrent à gauche. Son guide se retourna alors, un doigt posé sur les lèvres. Les portes s’alignaient le long du couloir qui, par son étroitesse, avait un côté oppressant.
À la place de la numérotation habituelle des cellules dans les couvents, d’étranges petits êtres fabuleux et des reptiles étaient peints sur les chambranles. Ils étaient passés devant au moins trente cellules lorsque Gruna s’immobilisa enfin devant le dessin d’une jolie salamandre ; il ouvrit la porte.
La première impression fut moins décevante que ne l’avait craint Malberg. La pièce d’environ dix-huit mètres carrés ressemblait plus à une chambre d’étudiant qu’à une véritable cellule de moine.
Le mobilier se limitait à un placard et un lit pliant auxquels s’ajoutaient un canapé biplace, un fauteuil confortable, un bureau et une chaise en tube chromé. Il y avait même un téléphone.
Gruna s’approcha du lavabo qui se trouvait à droite de la porte d’entrée et fit couler l’eau abondamment.
— C’est le seul moyen d’échapper aux écoutes ! murmura-t- il.
Il désigna du doigt le plafond, équipé de petites pastilles luisantes dont la fonction ne faisait aucun doute.
— Pourquoi faites-vous cela pour moi ? demanda Malberg qui se surprit à chuchoter lui aussi. Je veux dire : vous ne me connaissez pas !
Fatigué de son voyage, il posa son sac sur le canapé.
L’hématologue leva les deux mains.
— Je veux seulement vous empêcher de faire des bêtises. Si vous comptez survivre ici, il serait préférable pour vous que vous vous comportiez exactement comme on s’attend à ce que vous le fassiez. C’est la seule façon de s’en sortir sans subir de pressions psychiques. Et pour ce qui est de ma motivation, il se peut que vous nous soyez plus utile que nous ne vous le serons. Vous comprenez ?
Malberg ne comprenait rien.
— Vous ne pourriez pas vous exprimer un peu plus clairement ? demanda-t-il, assez perplexe.
— Chaque chose en son temps, répondit Gruna avec un sourire hésitant. Puis il ferma le robinet et se retira.
La nuit tombait lorsqu’Anicet apparut dans la chambre de Malberg, qui se refusait à employer le mot « cellule », même dans sa tête. L’homme entra dans la pièce sans frapper.
Il salua froidement. Malberg était stupéfait.
— Au château de Layenfels, lui expliqua Anicet, il n’y a ni serrures et ni clés. Toutes les pièces sont ouvertes. Vous l’avez sans doute déjà remarqué. Il n’est pas non plus dans nos usages de frapper avant d’entrer. C’est une habitude dépassée, uniquement bonne à faire perdre du temps.
Malberg n’eut pas le temps d’exprimer son point de vue, ni même de répondre, car Anicet l’invita à le suivre jusqu’aux archives situées dans l’aile opposée.
— Vous devriez mémoriser exactement le chemin que nous empruntons, remarqua-t-il pendant qu’ils gravissaient un autre escalier, au sommet duquel ils bifurquèrent vers un autre couloir.
— De plus, ne soyez pas surpris par le désordre apparent des archives. Il s’agit en réalité d’un désordre créatif. Chaque membre de notre confrérie dépose ses dossiers, ses livres et ses documents à une place précise qui lui a été attribuée. Seuls les ouvrages de référence et les dictionnaires se trouvent dans une salle spéciale à disposition de la communauté.
Un système bizarre pour des archives, pensa Malberg.
Mais, à l’intérieur de ces murailles, presque tout était bizarre. Malberg avait depuis un bon moment cessé d’essayer de mémoriser le chemin qui menait aux archives, lorsqu’ils débouchèrent au sixième étage dans une pièce blanchie à la chaux et en forme d’hémicycle tronqué. On y accédait par une porte en ogive.
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