Le Huitième Péché
terrasse. Anicet ne s’était encore jamais aventuré jusque-là. C’est pour cette raison que Gruna avait choisi ce lieu de rencontre.
Bien qu’étant assez sportif, Malberg était essoufflé lorsqu’il arriva en haut du donjon.
On l’y attendait déjà. Gruna présenta le docteur Dulazek comme un ami fiable, cytologue de son métier et ancien moine bénédictin.
— Bien entendu, vous avez déjà remarqué que la confrérie ne compte que des hommes dignes de confiance, commença Gruna.
Malberg était fasciné par le panorama grandiose qu’offrait de cette hauteur la vallée du Rhin, où coulait le fleuve majestueux.
— J’ai fait cette nuit la connaissance du professeur Murath, répondit-il. Un homme désagréable, si vous me permettez cette remarque. Il m’a interdit de toucher à ses dossiers qui sont conservés dans les archives. On dirait qu’il craint que je lui vole ses idées.
— Nous voilà au cœur du sujet, remarqua Gruna. Votre supposition n’est pas complètement fausse.
— Je ne vous suis pas.
Des nuages sombres passaient au-dessus du château, si près qu’on aurait cru pouvoir les toucher. Les roulements du tonnerre, de plus en plus proches, annonçaient l’imminence de l’orage. Gruna regarda avec inquiétude en direction de l’ouest.
— Je vous ai menti en vous disant que personne ne savait vraiment ce qui se passait en ces lieux. Quelques personnes, peu nombreuses, sont parfaitement au courant. Le docteur Dulazek et moi-même en faisons partie.
Pendant que Dulazek surveillait le palier, Ulf Gruna commença son récit :
— Il faut que vous sachiez qu’Anicet n’est autre que l’ancien cardinal Tecina. Lors de la dernière élection du pape, il a eu l’impression d’avoir été injustement écarté.
Malberg opina.
— Ulcéré par cet échec, Tecina, qui depuis se fait appeler Anicet, a quitté la curie pour fonder cette confrérie à l’aide de moyens financiers dont l’origine reste floue. Il a passé des annonces dans les grands quotidiens européens pour trouver des scientifiques haut de gamme, des sommités dans leurs domaines respectifs, dont les travaux n’avaient pas recueilli le succès escompté. L’idée n’était pas mauvaise, en ces temps de surexploitation et de carriérisme à tout crin. Anicet a ainsi réuni autour de lui une centaine de scientifiques en peu de temps.
— Dont vous deux !
— Exact. Au début, nous ignorions comme tous les autres les véritables intentions d’Anicet. Pourtant, le fait qu’il ait transformé son nom de Tecina en Anicet aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Anicet est le pire des démons. Il a choisi comme emblème la croix barrée, ce qui signifie entre autres qu’il ne croit pas au salut de l’âme.
Malberg s’était approché des créneaux et regardait tout en bas. Il eut soudain le vertige. Était-ce à cause de la hauteur du donjon et de la vue immense qui s’offrait à lui, ou bien à cause des explications de Gruna ? Il s’agrippa, pris de panique, à l’une des tuiles qui couvraient le parapet. Mais la tuile céda sous ses doigts et se détacha pour glisser le long de la pente du toit. Tétanisé, Malberg suivit la trajectoire de l’objet, qui alla se fracasser en mille morceaux sur le sol pavé, en contrebas. Gruna avait remarqué le malaise de Malberg. Il lui mit la main sur l’épaule et l’attira vers lui.
— Vous avez le vertige ? demanda-t-il, inquiet.
— Ça ne m’était jamais arrivé jusqu’à aujourd’hui, murmura Malberg. Mais permettez-moi de vous poser une question, dit-il en inspirant profondément. Chaque membre de la confrérie porte-t-il cette croix barrée ?
— Oui. Anicet nous a imposé de la porter.
En voyant le regard interrogateur de Malberg, les deux hommes eurent la même réaction : Dulazek sortit la croix de sous sa chemise, et Gruna fouilla dans la poche de son pantalon.
— Un homme comme Murath, poursuivit finalement Gruna, est une aubaine pour Anicet. La vie l’avait déçu tout autant qu’elle avait déçu l’ex-cardinal. Anicet s’était vu écarté du trône papal et Murath n’avait pas été gratifié du prix Nobel. Le comité suédois a sous-estimé la découverte de Murath. On a même appris par des indiscrétions que ces messieurs se seraient moqués du professeur. Par dépit, Murath a choisi une autre voie. Il a trouvé en Anicet quelqu’un qui était prêt à l’écouter, et il est entré dans la
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