Le Huitième Péché
Papperitz ? demanda-t-il. Une Allemande ?
— Oh que non ! Une Romaine pure souche, répondit Paolo. Elle a des ancêtres allemands, un peintre qui a séjourné pendant un certain temps à Rome, il y a cent cinquante ans. C’est du moins ce qu’elle prétend. Vous pouvez aller voir la chambre demain, et vous lui transmettrez le bonjour de Paolo. Via Luca 22, ajouta-t-il avec un clin d’œil.
Le soir venu, il se passa quelque chose d’étrange avant que Malberg ne quitte l’appartement de Caterina. Et la chose se produisit sans qu’il s’y attendît le moins du monde – ou plutôt, cela faisait un bon moment qu’il ne s’y attendait plus.
Paolo était sorti. Il passait la moitié de la nuit dehors, comme à son habitude. Malberg et Caterina avaient bu un verre ou deux. Pas suffisamment pour être ivres, mais juste assez pour oublier leur retenue habituelle et se lancer dans une conversation animée.
Malberg ne savait toujours pratiquement rien de Caterina, mais elle, de son côté, avait su l’amener habilement à parler de lui. Était-ce délibéré ou seulement fortuit ? Toujours est-il qu’il y avait de la tension dans l’air, le genre de tension qui précède généralement le moment magique où deux êtres se sentent attirés l’un vers l’autre.
Jusqu’alors, ils n’avaient pas dépassé le stade de la politesse distante. Rétrospectivement, du reste, la méfiance qu’ils avaient nourrie l’un envers l’autre n’était pas sans fondement.
Deux êtres appartenant à deux univers différents s’étaient rapprochés et, tout en poursuivant le même objectif, aucun des deux n’avait su se frayer un chemin dans l’intimité de l’autre.
Malberg répondit sans réticences aux questions franches de Caterina. Lorsqu’il était jeune, il avoua avoir fait feu de tout bois : à l’époque où il avait seize ans, une employée pulpeuse du salon de coiffure d’en face, la dénommée Elvira, blonde décolorée, les cheveux crêpés et exactement deux fois plus âgée que lui, l’avait débauché. À moins que ce ne fût l’inverse ? Il ne se souvenait plus exactement. Cette relation n’avait rien eu à voir avec l’amour. Une banale aventure sexuelle, et encore. Quoi qu’il en soit, ils avaient dû se voir cinq fois au plus.
Pendant sa première année d’études de lettres, une certaine Zdenka lui avait fait des avances. Elle était non seulement très attirante, mais de surcroît intelligente, avec des yeux noirs et des cheveux de jais. Malberg avait cru avoir rencontré le grand amour avec cette fille d’immigrés yougoslaves.
Ils avaient tous les deux vingt-deux ans. Ils convolèrent, n’eurent pas d’enfants et restèrent mariés en tout et pour tout trois ans et demi.
Depuis, il avait collectionné les liaisons. La plus longue avait duré cinq ans, et il en gardait un souvenir tout à fait agréable.
Il assumait la responsabilité de tous ces échecs. Il s’était entendu plus d’une fois reprocher d’être avant tout en ménage avec ses livres, et de n’être capable que d’un mariage morganatique.
Pendant que Malberg parlait, Caterina le regardait attentivement. Elle finit par dire sur un ton presque attristé :
— D’une certaine manière, vous me faites de la peine.
Malberg réfléchit un court instant avant de demander :
— Et pourquoi cela ?
— Parce que vous restez toujours maître de vos sentiments.
— C’est vrai, mais cela ne devrait pas vous faire de la peine.
Caterina le regarda avec assurance. Ses yeux, tristes il y a un instant encore, étincelèrent subitement de mille feux. C’est alors que tout bascula.
Les sens de Malberg s’affolèrent lorsque Caterina lui demanda de but en blanc :
— Lukas, ça vous dirait de faire l’amour avec moi ?
Croyant avoir mal entendu, il s’enfonça encore plus profondément dans le fauteuil en rotin.
Était-il éveillé ? Rêvait-il ? Il aurait été incapable de le dire. Que devait-il répondre à cette question insolite ? Il hésitait. Il y a certaines questions qu’on ne pose pas. Parce qu’elles ne sont pas convenables. Et celle-ci en faisait partie. Elle appelait une réponse aussi peu convenable. On ne peut y répondre simplement par oui ou non. Il aurait été assez discourtois de dire : « D’accord, je suis libre » ; et carrément méprisant de répondre par un : « Si ça vous dit… »
Malberg tergiversait encore que Caterina prenait déjà les devants.
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