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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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avec
lesquels il n’avait échangé que quelques mots. Sans très bien savoir pourquoi,
il regretta soudain de ne pas s’être davantage soucié de les connaître mieux.
Dans quelques heures à peine, ils chevaucheraient ensemble, épaule contre
épaule, vers un danger dont la menace était la même pour tous. Défaite ou
gloire, ce qui les attendait au bout de ce chemin de ténèbres serait
équitablement réparti, sans nulle différence entre officiers et subalternes.
Ces douze soldats anonymes étaient ses compagnons de combat, de vie et
peut-être de mort. Et il se demanda, mécontent de lui, pourquoi, jusqu’à cette
nuit, l’idée ne lui était pas venue de s’intéresser à eux.
    Au loin un éclair flamba, et le coup de tonnerre arriva peu
après. Les chevaux s’agitèrent, inquiets, et Frédéric dut même tirer sur les
rênes pour maintenir Noirot dans le rang. Un hussard jura à voix haute.
    — On va se faire mouiller, aujourd’hui, camarades.
C’est le vieux Jean-Paul qui vous le dit.
    Ça me fait au moins un nom de plus, pensa Frédéric. Mais la
voix appartenait à un visage caché par la nuit. Sa manière de parler trahissait
un vétéran.
    — Je préfère la pluie à la chaleur, répondit une autre
voix. On m’a dit qu’à Bailén…
    — Va au diable avec ton Bailén, rétorqua le dénommé
Jean-Paul. Dès qu’il fera jour, on va faire détaler ces pouilleux à travers
toute l’Andalousie. Tu n’as pas entendu le colonel, hier ?
    — Tout le monde n’a pas tes oreilles, intervint un
autre. On sait bien que ce sont les plus longues du régiment.
    — Surveille plutôt les tiennes, nom de Dieu !
répondit la voix furieuse du vétéran. Ou je te les couperai à la première
occasion.
    — Faudra vous y mettre à plusieurs, fanfaronna l’autre.
    — Tu es bien Durand ?
    — Oui. Et je te demande à combien vous devrez vous y
mettre pour me couper les oreilles.
    — Par le diable, Durand, dès qu’on sera descendus de
cheval, toi et moi, on aura une petite conversation…
    Frédéric crut le moment venu d’intervenir.
    — Silence dans les rangs ! ordonna-t-il d’un ton
énergique.
    La discussion cessa immédiatement. Puis on entendit le
dénommé Jean-Paul murmurer tout bas :
    — C’est le sous-lieutenant. Un vrai petit coq,
celui-là, même s’il n’a jamais entendu aboyer le brutal de sa vie… On verra
comment tu te comporteras dans quelques heures, mon mignon !
    Et dans l’obscurité, quelques rires circulèrent, étouffés
par le bruit des sabots.
     
    *
     
    La colonne continua d’avancer au pas, serpent silencieux
d’hommes et de chevaux s’insinuant dans les ténèbres. Les sabres qui pendaient
au côté gauche des cavaliers cognaient contre les étriers et les éperons, et
leur tintement sourd parcourait l’escadron de bout en bout. Pour ne pas perdre
la route, chaque rang de hussards collait aux croupes du précédent, et l’on
entendait parfois les jurons d’un cavalier dont le cheval était littéralement
poussé par celui qui venait derrière. La colonne compacte et somnolente
marchait vers son destin tel un escadron lugubre composé de noirs fantômes
d’hommes et de bêtes.
    Frédéric vit une grande lueur rouge devant eux, comme celle
d’un incendie. Il garda les yeux fixés sur elle pendant une demi-lieue, en
évaluant la distance, et décida qu’elle se situait sur la route qu’ils
suivaient. Bientôt, quand la lueur fut un peu plus proche, quelques maisons
commencèrent à se dessiner confusément dans le noir. Il passa devant elles en
se disant que les murs blanchis à la chaux ressemblaient à des suaires
immobiles dans la nuit et découvrit que la colonne entrait dans un village.
    — C’est Piedras Blancas, lança un hussard, mais
personne ne confirma ses dires.
    Il n’y avait pas une âme dans les rues désertes où seul
résonnait l’écho des sabots. Les maisons étaient barricadées, comme si leurs
habitants étaient partis. Mais peut-être étaient-ils là, éveillés et terrifiés,
sans oser ouvrir un volet, épiant par les fentes cette longue file de diables
noirs. Malgré lui, Frédéric frissonna, avec la pénible impression que cette
scène, ce village silencieux et obscur, sans même une mauvaise lanterne pour
éclairer un carrefour, avait quelque chose de sinistre et d’horrible.
    C’était aussi ça, la guerre, se dit-il. Des hommes et des
bêtes qui marchaient dans la nuit, des villages dont on ne connaîtrait

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