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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qui vaille la peine d’être défendu ?
    — Nous avons détrôné leurs rois…
    — Leurs rois ? Des misérables Bourbons dont, chez
nous, nous avons guillotiné les cousins : un monarque obèse et stupide,
une reine immorale qui couchait avec la moitié de la cour… Ces gens-là
n’avaient aucun droit. Ils étaient périmés, finis.
    — Je croyais que tu défendais la vieille aristocratie,
Michel.
    Bourmont eut un sourire méprisant.
    — Défendre la vieille aristocratie ne veut pas dire
défendre la décadence ; ça n’a rien à voir. Un vent puissant souffle de
France des idées de progrès qui balaient l’Europe. Nous apporterons la lumière,
l’ordre nouveau. Fini, les curés et les punaises de sacristie, les
superstitions et l’Inquisition. Nous allons sortir ces sauvages des ténèbres
dans lesquelles ils vivent, même si nous devons pour cela les fusiller tous.
    — Mais le roi Charles a abdiqué en faveur de son fils
Ferdinand, protesta Frédéric, sans être lui-même vraiment convaincu de ses
arguments, rien que pour le plaisir de poursuivre la discussion avec son ami.
Les Espagnols disent combattre pour son retour. Ils l’appellent l’Aimé, le
Désiré, ou quelque chose comme ça.
    Bourmont émit un ricanement.
    — Celui-là ? Ceux qui l’ont vu assurent qu’il est
servile et couard, et qu’il se moque bien de l’insurrection qui brandit son nom
comme un drapeau. Tu n’as pas lu le Moniteur  ? Il vit luxueusement
de l’autre côté des Pyrénées et passe son temps à féliciter l’Empereur pour ses
victoires en Espagne.
    — C’est vrai ?
    — Bien sûr.
    — On assure que c’est un misérable.
    — C’est un misérable. Il faut ne pas posséder une once
de dignité pour se conduire comme il le fait, pendant que son peuple, même s’il
ne s’agit que de paysans incultes, se répand dans les campagnes pour faire la
guerre… Bah, oublions-le ! Aujourd’hui en Europe, c’est Bonaparte qui
couronne les rois, et celui d’Espagne est son frère Joseph. La légitimité, ce
sont nos sabres et nos baïonnettes qui l’imposent. Et ce n’est pas une armée de
déserteurs et de croquants qui pourra résister aux vainqueurs d’Iéna et
d’Austerlitz.
    Frédéric fit une grimace.
    — Mais quand même, à Bailén, Dupont a dû se rendre. Tu
as entendu Dembrowsky, cette nuit.
    — Ne commence pas, avec Bailén, le coupa Bourmont,
gêné. La faute en revient à la chaleur et à la méconnaissance du terrain. Une
erreur de calcul. Et puis Dupont n’avait pas avec lui le 4 e  hussards.
Que diable, mon cher, tu t’es levé du pied gauche, ce matin. Que
t’arrive-t-il ?
    Frédéric adressa un sourire plein de franchise à son
camarade.
    — Rien. C’est seulement que nous livrons une guerre
étrange qui ne figure pas dans les livres que nous avons étudiés à l’École
militaire. Tu te rappelles notre conversation de cette nuit ? Il est
difficile de renoncer à des guerres loyales, contre des ennemis parfaitement
identifiables et bien alignés en face de nous.
    — Des guerres propres, résuma Bourmont.
    — Oui. Des guerres propres, où les curés ne battent pas
la campagne avec leur soutane retroussée et un tromblon à l’épaule, où les
vieilles n’arrosent pas nos soldats d’huile bouillante. Où les puits
contiennent de l’eau et non des cadavres de camarades assassinés.
    — Tu demandes beaucoup, Frédéric.
    — Pourquoi ?
    — Parce qu’à la guerre, on hait. Et c’est la haine qui
motive les hommes.
    — J’en conviens. Dans toute guerre convenable, on hait
l’ennemi pour la bonne et simple raison qu’il est cela : l’ennemi. Mais
ici, c’est plus compliqué. On nous hait moins parce que nous sommes des
envahisseurs que parce que nous sommes des hérétiques ; les prêtres
prêchent la rébellion du haut de leurs chaires, les paysans préfèrent
abandonner les villages et brûler les récoltes plutôt que de nous laisser le
moindre croûton de pain…
    Bourmont eut un sourire amical.
    — Ne te vexe pas, Frédéric, mais j’ai parfois
l’impression que tu parles avec une naïveté désarmante. La guerre est comme
ça : ce n’est pas nous qui la changerons.
    — Peut-être suis-je naïf. Peut-être cesserai-je de
l’être en Espagne, qui sait. Mais j’ai toujours pensé que la guerre, c’était
autre chose… Je suis surpris par cette barbarie méridionale, cet orgueil
ancestral, préhistorique, des Espagnols qui sont

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