Le hussard
fourreaux une centaine de
sabres impatients.
Ils franchirent des collines et des vallons pour arriver
finalement en vue d’un petit village d’où montaient des colonnes de fumée. Le
commandant Berret ordonna la halte et, durant un moment, s’entretint avec
Dembrowsky en consultant une carte. Frédéric les observa distraitement, toute
son ouïe concentrée sur la lointaine canonnade à laquelle se joignait
maintenant un crépitement de mousqueterie. Tandis qu’il tirait légèrement sur
les rênes pour empêcher Noirot de brouter l’herbe rare, il vit le capitaine le
regarder et lui faire signe. Le cœur battant, il piqua des éperons et
s’approcha des chefs de l’escadron.
Berret, debout sur ses étriers, plissait son œil unique pour
observer le village avec une expression grave. Ce fut le capitaine qui adressa
la parole à Frédéric.
— Glüntz, prenez six hommes et faites une
reconnaissance de ce côté. Voyez qui est dans le village.
Frédéric se dressa sur sa selle en se sentant rougir.
C’était la première fois qu’on lui confiait une mission au combat.
— À vos ordres.
Noirot encensait, anxieux, comme s’il partageait l’émotion
de son cavalier.
Dembrowsky avait l’air préoccupé.
— Ne prenez pas de risques, Glüntz, recommanda-t-il en fronçant
les sourcils. Jetez seulement un coup d’œil et revenez tout de suite. Il est
encore un peu tôt pour vous couvrir de gloire. Compris ?
— Parfaitement, mon capitaine.
— On ne vous demande pas de faire des prodiges. Juste
d’aller là-bas, de voir ce qui se passe et de revenir nous le dire. En
principe, notre infanterie doit se trouver dans le village.
— Compris, mon capitaine.
— Alors faites vite. Et attention aux francs-tireurs.
Le jeune homme regarda le commandant, mais Berret leur
tournait le dos, absorbé dans la contemplation du paysage. Frédéric fit un
salut militaire impeccable et se dirigea vers les hussards de son peloton les
plus proches. Il désigna ceux dont l’allure lui sembla la meilleure.
— Vous six, suivez-moi.
Ils éperonnèrent leurs chevaux et partirent au galop. La
pluie fine continuait de tomber doucement, mais la terre, bien que déjà
détrempée, n’était pas encore trop meuble. Frédéric pressa les cuisses contre
les flancs de sa monture et baissa la tête. L’eau coulait sur sa figure et sur
sa nuque, gouttant de la fourrure mouillée du colback. Pendant qu’il
s’éloignait de l’escadron, il eut la certitude que les yeux bleus de Michel de
Bourmont suivaient de loin la cavalcade.
*
Les colonnes de fumée qui montaient au-dessus du village semblaient
immobiles, suspendues entre ciel et terre, condensées dans le matin gris. La
terre remuée était sillonnée d’empreintes de sabots et d’ornières de chariots
ou de canons. L’air sentait le bois brûlé.
Ils suivirent un chemin qui courait entre des amandiers. Le
village était déjà proche et, venant de l’autre côté, on entendait des tirs
nourris, sans qu’on puisse encore découvrir le moindre être vivant. En
empruntant ce sentier inconnu, Frédéric ne put se défendre d’éprouver une
certaine appréhension : il avait l’impression qu’il allait à tout moment
se retrouver nez à nez avec un parti d’ennemis. Sans cesser d’éperonner Noirot,
il glissa les rênes entre ses dents et sortit un pistolet des fontes jumelles,
le libéra de sa toile cirée et le remit ensuite en place, à portée de main,
prêt à servir.
Un chariot était renversé sur le bord du chemin et, près de
lui, gisait un mort. Au passage, Frédéric lui jeta un regard rapide. Son visage
était enfoui dans la terre humide, ses vêtements étaient trempés, ses bras en
croix. Une jambe était étrangement tordue et on lui avait pris ses bottes. Il
ne reconnut pas l’uniforme et supposa qu’il s’agissait d’un Espagnol. Un peu
plus loin, deux autres cadavres étaient couchés près d’un cheval mort. Comme il
concentrait son attention sur les maisons du village qu’il était sur le point
d’atteindre et sur le crépitement de la fusillade, il mit quelque temps à
réaliser que, pour la première fois de sa vie, il venait de voir des morts sur
un champ de bataille.
Plusieurs maisons brûlaient malgré la pluie. En
s’effondrant, les poutres carbonisées répandaient des gerbes d’étincelles avant
d’être réduites en cendres. Frédéric tira sur les rênes et mit son cheval au
pas. Déployés derrière
Weitere Kostenlose Bücher