Le Japon
rapatrier depuis l’Asie, la Sibérie et les îles du Pacifique – dont environ 3 millions de civils. Le pays est asphyxié économiquement, au bord de la famine, et ne tourne guère que par le marché noir auquel les élites et l’armée participent en pillant les stocks militaires. La pègre prospère sur ce terreau fertile, tolérée pardes autorités qui comptent sur elle pour les aider à lutter contre les communistes.
Le pays est dirigé en droit par un conseil interallié, mais de fait par le commandant suprême des forces alliées (Supreme Commander of Allied Powers, SCAP), le général américain Douglas MacArthur. L’empereur reste en place, mais on se demande s’il ne va pas abdiquer en faveur de son fils, ou être jugé par les alliés pour crimes de guerre.
Pourtant, le procès de Tokyo, qui est l’équivalent asiatique du procès de Nuremberg, reste mal connu. On le présente volontiers comme un procès de vainqueurs, qui n’aurait eu pour but que de justifier la vindicte des États-Unis ulcérés par l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Il s’agirait donc d’un procès politique destiné à satisfaire l’opinion publique et les militaires américains, sans pour autant empêcher l’occupation du Japon et mécontenter le peuple japonais.
Le travail du tribunal repose sur une période qui va de 1928 à 1945. L’année 1928 correspond à l’assassinat, en Mandchourie, du « seigneur de la guerre » Chang Tso-lin par les troupes japonaises : l’événement sera perçu rétrospectivement comme un prélude à la mainmise du Japon sur la Mandchourie. Trois ans plus tard, le Japon s’empare de la totalité de cette région et constitue l’État fantoche du Mandchoukouo.
En juillet 1937, les forces japonaises attaquent les troupes chinoises près de Pékin. Devant le refus du président du gouvernement nationaliste Tchang Kaï-chek de céder, elles étendent rapidement le champ de leurs opérations et, après la prise de Nankin le 13 décembre, mettent à sac la ville : on estime le nombre total de leurs victimes civiles entre 260 000 et 350 000, et entre 20 000 et 80 000 celui des femmes violées. Les attaques, sansdéclaration de guerre, contre les États-Unis à Pearl Harbor, dans les îles Hawaii, et contre le Royaume-Uni en Malaisie en décembre 1941 contreviennent, elles aussi, au droit international en vigueur à l’époque.
Mais ce qui retient surtout l’attention des Alliés en 1946, ce sont les mauvais traitements et le travail forcé infligés entre 1941 et 1945 à une grande partie des prisonniers de guerre détenus par le Japon, et ce malgré la promesse faite au gouvernement américain de respecter les termes de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre – convention que le Japon, d’ailleurs, n’a pas signée.
Quelles causes invoquer quand on tâche d’expliquer les crimes japonais durant la guerre ? Le Japon, tout comme les autres armées du XX e siècle, subit ce que George Mosse a appelé le processus de « brutalisation » 50 : la violence tend à être banalisée. Avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, l’armée japonaise est réputée être celle, avec l’armée soviétique, où la discipline est la plus impitoyable. Les brimades subies par les soldats ont probablement joué un grand rôle dans leur attitude violente à l’encontre des populations civiles et des prisonniers.
Une certaine rigidification des principes de commandement a constitué, elle aussi, une cause de la brutalité des troupes nipponnes. Ainsi, un ordre signé en 1941 par le ministre de l’Armée de terre, Tojo Hideki, le senjinkun , interdisait de se rendre, ce qui eut un effet néfaste, non seulement sur les soldats japonais, mais également sur leurs prisonniers : survivre à la défaite fut alors considéré comme infamant.
Enfin, le mépris à l’égard des populations asiatiques, et notamment des Chinois, enseigné dès l’école primaire, a certainement ôté aux troupes japonaises tout frein psychologique concernant leur attitude vis-à-vis des populations civiles d’Asie.
Parmi les crimes de guerre japonais, on peut citer les massacres et le pillage à grande échelle commis en Chine de 1937 à 1945, l’utilisation d’armes chimiques et bactériologiques, les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre, la mise en esclavage de populations civiles asiatiques dans le but de faire avancer
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