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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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semblait atteint d’une maladresse congénitale qui ralentissait ses moindres gestes. On aurait dit qu’il était constamment préoccupé par quelque pensée obsédante. Certains le disaient atteint d’apathie. Une mauvaise enflure modifiait la forme de son visage qui, autrement, aurait été assez plaisant et régulier ; sa coiffure ressemblait en tous points à celle de son parent près duquel il avait pris place à la table d’honneur.
    Le roi de Navarre sourit au jeune homme dont le regard terne était pour le moment dénué d’expression. Il n’était nul besoin d’exprimer quoi que ce fût. Aucun des invités n’ignorait que le dauphin détestait son père. Il tardait à ce jeune prince mélancolique de remplacer Jean sur le trône de France, et c’était précisément la raison de la présence du Navarrais à ce festin où l’on mangeait et potaillait* à qui mieux mieux en ne faisant semblant d’aucune connivence.
    Pendant ce temps, à l’extérieur, certains hommes des deux escortes décidèrent de sortir faire un tour. Louis, qui était de ceux-là, laissa à l’un des serviteurs le soin de ramasser le poêlon* dans lequel avaient été présentées des côtelettes de porc. Il achevait de ronger celle qu’il y avait discrètement prise. D’instinct, il rechercha la solitude d’une rue moins fréquentée sans y parvenir, car il se trouvait encore trop à proximité du châtelet.
    Une femme lui jeta un regard apeuré. Elle frôlait le mur d’une maison, un panier de provisions au bras. Il était possible que les insignes de la profession de Louis soient connus ici, mais il n’en était pas sûr. Quoi qu’il en soit, être connu ou pas lui était égal. Sa maison rouge et son jardinet foisonnant lui manquaient. Adélie et Églantine lui paraissaient plus lointaines que jamais. Firmin aussi. Car il attendait toujours les sauf-conduits qui devaient lui permettre de se rendre à Paris. « J’ai à vous confier un dernier petit travail, cher maître, après quoi je me ferai un plaisir de vous procurer sans autre délai tous les documents dont vous aurez besoin », lui avait dit Fricamp. Louis n’avait donc eu d’autre choix que d’accepter de faire partie de l’escorte qui avait conduit le gouverneur à Rouen.
    Les pavés inégaux se mirent à trembler. Des galopins dévalèrent la rue en criant :
    — Place ! Place !
    Les gens qui circulaient se rangèrent contre les murs des maisons à colombages. Louis jeta l’os nettoyé et fit de même. Un groupe de chevaucheurs* déboucha de l’autre côté d’une courbe. L’un d’eux portait une houppelande fourrée de renard. « Des nobles », pensa Louis. Mais la bannière d’azur semée de lis dorés brandie par le chevalier de tête annonçait que ces gens n’étaient pas de noblesse ordinaire.
    — Le roi Jean, dit quelqu’un avec déférence.
    Il arrivait en catastrophe d’Orléans après avoir chevauché trente heures.
    Plusieurs se jetèrent à genoux dans les flaques laissées par une pluie récente. Louis put entrevoir le large visage du roi de France avant qu’il ne soit à nouveau caché par son porte-étendard. Le menton et la lèvre lippue étaient parsemés de chaume ; sa chevelure clairsemée n’abritait qu’à peine un front bas et ridé par les soucis constants ; son regard trahissait un vide qui, c’était à espérer, était dû à la fatigue du voyage ; ses joues creuses frémissaient de nervosité.
    Les citadins demeuraient là où ils s’étaient agenouillés, pétrifiés par le saint personnage qu’ils n’allaient sans doute apercevoir qu’une fois dans leur vie. Seul Louis tenta en vain de trouver une venelle perpendiculaire où se glisser pour disparaître.
    — Faites place ! Place ! cria le cavalier de tête en dégainant son épée.
    Il s’agissait d’Amoul d’Audrehem, un homme puissant à la cour de France. Les badauds commençaient à être trop nombreux à son goût, même s’ils livraient aisément le passage.
    — Que nul ne se meuve pour ce qu’il va voir s’il ne veut mourir de cette épée ! rugit Amoul.
    Ce disant, il remarqua un gaillard peu avenant qui s’arrêtait sur son ordre et il lui assena un coup du plat de son arme sur l’épaule en guise d’avertissement. Le géant en perdit l’équilibre, mais parvint à s’adosser contre le mur qu’il avait longé pour éviter de tomber et d’être piétiné par les chevaux. Le roi Jean passa sans tourner la tête.

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