Le jardin d'Adélie
Louis se redressa. La suite royale s’engouffra dans l’enceinte du châtelet. Les gens de Friquet les y suivirent silencieusement et par petits groupes inquiets.
Escorté de ses sergents et hommes d’armes, un Jean dangereusement courroucé entra en trombe dans la salle où se déroulait le festin.
— Toi ! cria-t-il en apercevant Charles de Navarre.
Plusieurs convives se levèrent, mais n’osèrent pas bouger davantage. D’autres parvinrent à fuir en sautant par-dessus les murs sans être interceptés par les hommes désœuvrés et curieux qui peuplaient la cour.
Jean empoigna le jeune roi de Navarre et le tira à lui.
— Sale traître ! Tu n’es pas digne de seoir à la table de mon fils…
Les invectives de Jean n’allèrent pas plus loin : l’écuyer tranchant*, auquel personne n’avait prêté attention, pointait soudain la poitrine du roi de France avec un grand couteau à découper les viandes.
— Bas les pattes, monseigneur ! dit-il.
— Non, pas de ça, Bléville, marmonna Charles de Navarre. Jean, d’abord saisi, dévisagea l’homme et ordonna, entre ses dents serrées :
— Prenez-moi ce garçon et son maître aussi.
Les gens d’armes obéirent et circulèrent parmi les dîneurs statufiés. Nul ne chercha plus à s’interposer. Jean poussa le Navarrais entre deux de ses hommes.
— Emmenez-le dans une chambre et tenez-le sous bonne garde. Je m’en occuperai plus tard, car, pour le moment, j’ai mieux à faire.
— À vos ordres, monseigneur.
Le duc de Normandie s’interposa :
— Grâce, Père, ne faites pas ça ! Ayez donc la bonté de ne pas me déshonorer en faisant violence à mes hôtes.
— Visiblement, vous ne savez pas ce que je sais, répliqua Jean.
— Oh, Père… daignez pardonner cet affront au fils indigne que je suis, sanglota Charles de Normandie, qui se jeta à genoux devant son père et joignit les mains en un geste théâtral de supplication.
La scène aurait paru ridicule si le dauphin n’avait réellement appréhendé une terrible vengeance paternelle. Plusieurs crurent discerner dans ce geste du jeune prince quelque ruse cruelle. Lui qui avait ourdi avec ses compagnons dîneurs un complot pour se débarrasser de son père paraissait avoir soudainement abandonné ce but comme un masque et affichait tous les signes qu’il s’apprêtait à les trahir : on ne pouvait rêver d’un meilleur moyen pour faire d’une pierre deux coups et éliminer les futurs témoins d’un parricide qu’une ultime alliance avec son père. Mais, fort heureusement pour Jean, son fils était plutôt enclin à la couardise. Il s’en remettait réellement à sa volonté.
Magnanime, le roi de France toisa le dauphin de haut et répondit :
— Soit, notre pardon t’est accordé pour ta malencontreuse défaillance en tant qu’héritier. Mais seulement pour cette fois. Que ce soit la dernière. Cela dit, nous allons tout de même te donner à apprendre une leçon que tu n’es pas près d’oublier.
*
Le lendemain matin
Les tombereaux ignominieux s’étaient subitement arrêtés, sur l’ordre du roi impatient, en un lieu que l’on baptisa Champ du Pardon afin de rendre plus concret le pardon du père accordé au fils. Hélas, ceux que l’on conduisait ainsi ne bénéficiaient pas de la grâce royale. Les deux charrettes contenaient quatre complices qui étaient condamnés à être décapités sur le billot que l’on avait apporté : le comte Jean V d’Harcourt, Colinet de Bléville, le seigneur de Guerardville et Maubue de Mainemares. Les deux derniers étaient des seigneurs normands. Seul Bléville eut droit à un confesseur, les autres étant considérés comme traîtres.
Le dauphin vint prendre place aux côtés de son père, au risque de passer pour un félon auprès de ces malheureux dîneurs. « Que leurs têtes tombent dans la sciure et que je les voie tomber, se dit-il, afin que je sois assuré qu’elles emportent avec elles toutes ces ébauches de complots insensés que j’ai pu tramer pour détrôner mon père. » Oui, il avait dix-huit ans et sa hâte de régner était grande ; mais il avait pris la décision d’attendre que la Providence se charge elle-même de laisser le trône vacant. C’était courir un trop grand danger que d’essayer de forcer la main de Dieu. Jean ne devait plus jamais avoir l’opportunité de voir que son fils aîné manquait de courage : car un bon roi se devait d’être brave.
Vêtu de son
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