Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
manteau royal d’azur bordé d’hermine* qu’il avait mis par-dessus son armure comme s’il craignait une attaque, Jean était entouré de courtisans dont les habits rivalisaient d’extravagance et qui donnaient à la scène un air festif des plus inappropriés. On voyait d’étranges chausses ajustées, le tijuel* droit d’une même paire de chausses pouvant être jaune, tandis que l’autre était rouge ou vert ; il y avait des manches larges garnies de barbes d’écrevisse, des aumusses* dont la pointe du capuchon était prolongée d’une façon si démesurée qu’on pouvait la nouer en plusieurs endroits {146} et enfin des poulaines à bout recourbé. Les gens ressemblaient à de gros insectes venimeux.
    Tout cela contrastait crûment avec la sobriété de l’homme en noir qui se tenait debout au milieu du Champ du Pardon.
    Six coups furent nécessaires à Louis pour parvenir à décapiter Harcourt, qui passa en dernier sous le fer de sa hache. La terre se teinta de rouge à ses pieds. Amoul d’Audrehem, qui était chargé de l’exécution des traîtres, avait eu l’idée d’« emprunter » cet exécuteur, dont l’allure seule suffisait à faire frémir et que Fricamp avait eu la bonne idée d’emmener avec lui. Le colosse s’inclinait à présent devant Jean et le duc comme on lui avait recommandé de le faire. Jean se tourna vers le chancelier de Navarre et lui dit, avec bonhomie :
    — Parfait. Justice est faite. Il ne reste plus qu’à les conduire au gibet où nous avions l’intention de nous rendre dès le départ. Hum… À votre tour, maintenant, cher Freluquet.
    Louis se redressa lentement et, interloqué, fixa le roi. Sa main serra le manche ensanglanté de sa hache. Le visage du petit clerc vira au gris. Il dit faiblement :
    — Monseigneur ?
    — Vous nous avez bien compris. Votre allégeance au roi de Navarre n’est un secret pour personne. Il va donc de soi que vous fassiez partie des personnes suspectes. Puisque vous semblez ne pas pouvoir vous passer de la compagnie de ce sinistre individu, autant favoriser votre amitié à bon escient. Nous confions donc votre interrogatoire à ce garçon. Vous serez mené par lui au Châtelet.
    En s’adressant au bourreau immobile qui le regardait toujours, un peu gêné, il ajouta :
    — Toi qui as si bien su faire mourir ceux de ton propre camp parce que tel était notre commandement, tu mettras ton maître à la question jusqu’à ce qu’il fasse aveu de ses méfaits. La question ordinaire d’abord, et sec per gradus ad ima tenditur {147} , comme il se doit.
    Louis jeta un bref coup d’œil à Fricamp qui semblait sur le point de se trouver mal. Le roi dit, d’une voix suave :
    — Quoi, bourrel, cela t’étonne-t-il ? Pourtant, de par l’essence des lois, celui qui ordonne un crime est plus coupable que celui qui le commet {148} .
    Louis n’osa plus bouger. « Est-ce possible qu’il sache, au sujet du connétable ? » se demanda-t-il. Le sourire du roi devint perfide :
    — Le Navarrais est incarcéré au Louvre. Son sort est scellé. Quant à toi, bourrel, tu as bien obéi à ton roi. Va, continue donc à le servir fidèlement.
    Le bourreau s’inclina hâtivement et, sous les yeux de tous, dut prendre Friquet par le bras pour l’escorter jusqu’aux geôles.
    Un souvenir de son séjour à l’abbaye, en apparence sans rapport avec les événements qui venaient de se produire, affleura à sa mémoire : des moines s’apprêtant à couper un grand arbre moribond. Ils avaient dû se garder de le faire tomber dans le potager, mais le fût, en cédant, risquait de donner contre la muraille et, en roulant, de choir contre la toiture d’un bâtiment. Les moines s’étaient donc aidés d’une grosse corde qu’ils avaient solidement attachée à un tronc voisin, semblable, qui, lui, allait être préservé. La traction exercée par cette corde avait facilité et orienté la chute de l’arbre une fois le tronc presque entièrement scié. Louis songea : « Je dois être l’un de ces arbres bourreaux, juste parce que je me trouve là. »
    *
    Châtelet de Paris
    — Buvez. Vite ! marmonna Louis alors qu’il se penchait au-dessus de Friquet dont il détachait les chaînes.
    — Tout est arrangé ? demanda le gouverneur tout bas.
    Louis se contenta de le regarder sans rien dire. « Taisez-vous », avait-il envie de lui ordonner. Il lui fallait à tout prix trouver un moyen de lui dire de jouer le jeu.

Weitere Kostenlose Bücher