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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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pur plaisir, comment extraire ce qu’on appelait le liber, ce tissu ligneux situé entre l’aubier et l’écorce d’un arbre, afin qu’il pût servir à la fabrication de livres rudimentaires {142} .
    — Quel ange, dit Antoine avec une tendresse qu’il ne cherchait plus à dissimuler.
    Et, chaque jour, l’abbé Antoine en rendait grâce au Seigneur. Car le frère Lionel avait recommencé à sourire. « Le bonheur avec rien, les joies avec tout », songea-t-il affectueusement alors qu’il les regardait tous les deux partir en direction de l’hôtellerie où l’enfant habitait.
    *
    Rouen, samedi des Pâques fleuries 1356 {143}
    L’énergique Charles II n’accordait guère de répit à ses gens. Ses manigances avaient de quoi étourdir le plus talentueux chroniqueur. Depuis le meurtre du connétable, il manifestait le désir de récolter le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de la beurrière. Par conséquent ses querelles avec le roi Jean n’en finissaient plus et, même s’il s’était attiré la sympathie du peuple en encourageant des émeutes contre les trop nombreuses tailles et gabelles du roi de France, le peuple en avait assez de ces altercations interminables. Charles de Navarre signait traité sur traité avec le roi de France, ce qui ne l’empêchait pas d’ourdir d’autres tractations hypocrites avec le roi d’Angleterre qui lui promettait sa part de butin s’il acceptait de l’aider à conquérir la France. Ces mésententes continuelles avaient fini par rendre la vie des gens ordinaires intenable : ils s’étaient mis à menacer, exigeant une paix durable entre les deux monarques, si bien que Jean en avait pris peur. Un sentiment qui avait conduit les deux royaumes à la signature du traité de Valognes {144} .
    Dans la cour du châtelet, les restes de plusieurs quartiers de porc presque entièrement dévorés achevaient de se calciner sur leurs broches que l’on ne tournait plus. Certains perdaient encore des gouttes de graisse qui faisaient grésiller les braises mourantes. On avait fait rouler un peu plus loin des barriques de bière vides. Des gens d’armes repus commençaient à s’installer confortablement dans des coins de la cour pour faire la sieste, tandis qu’à l’intérieur du châtelet le festin plus raffiné qui s’y déroulait allait probablement durer encore plusieurs heures.
    Dans l’immense cheminée aussi profonde qu’une grotte, plusieurs porcelets grésillaient dans leurs lèchefrites. Au centre de la table avaient été posés de fort beaux arrangements faits avec des gâteaux à l’anis et des tartelettes au fromage de brebis parfumé à la fleur d’oranger. À intervalles réguliers, on avait placé à la disposition des convives de luxueuses petites douceurs servies dans des récipients dignes d’elles : outre une petite jatte de lait de vache et une coupe sur pied en forme de fleur, accompagnée de sa délicate cuiller en argent et remplie de pépites de sucre fin d’une belle couleur crème, une saucière proposait la sauce cameline, délicieusement acidulée. Avec le porc, d’aucuns préféraient la sauce poitevine. C’était un luxe exquis. On la préparait avec des foies de volaille pilés et rissolés dans du saindoux ; au jus qui avait été mis de côté, on incorporait du pain grillé et broyé, un peu de vin, de vinaigre et d’eau, ainsi que du gingembre, du clou de girofle et du sel ; le tout était ensuite dissous dans le jus de cuisson du rôti dont la sauce était destinée à devenir l’accompagnement.
    Friquet de Fricamp, gouverneur de Caen et chancelier du roi de Navarre, faisait partie des gentilshommes qui avaient accompagné leur souverain à ce banquet. D’autres y avaient suivi le duc de Normandie {145} .
    En les voyant face à face, on pouvait aisément reconnaître lequel du Navarrais ou du dauphin pouvait avoir le dessus sur l’autre.
    Mince et nerveux, celui que l’on surnommait le Mauvais était d’une beauté déconcertante : son visage fin d’aristocrate avait une transparence d’albâtre où contrastaient d’étrange façon des prunelles noires et envoûtantes, qui passaient sans détour de la langueur de l’homme au courroux justicier du roi ; sa chevelure châtain clair, taillée en balai, ondulait légèrement. Il savait d’instinct utiliser son charme et sa voix très expressive pour arriver à ses fins. Le duc de Normandie, quant à lui, était certes un peu plus grand, mais il

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