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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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reprit sa phrase là où il l’avait suspendue :
    — …est maintenant rompu. Firmin Ruest est civilement mort {183} .
    « Si au moins c’était vrai ! Si au moins mon cœur pouvait s’arrêter de battre maintenant, tout seul. J’ai si peur ! » se dit le malheureux, alors qu’autour de lui chacun s’occupait à reprendre sa place respective. Lionel remarqua que le bourreau avait fait une pause pour lever la tête vers les tours de Notre-Dame. Toutes les galeries semblaient ployer sous une foule d’où pleuvaient les quelques rares immondices que l’on s’était donné la peine de trimballer tout là-haut.
    — Laissez passer la justice du roi !
    Devant eux et tout autour, une haie de gardes parvenait à contenir la foule pour permettre à Mathurin, le deuxième assistant de Gérard, d’emmener un second mulet. L’homme se tint ensuite à l’écart avec la charrette dont on n’avait plus besoin pour le moment.
    Firmin ne se rendit pas compte que Baillehache l’avait conduit en bas des marches. Quelqu’un lui arracha la chandelle des mains et il fut soudain renversé, couché brutalement sur une claie qui avait été recouverte d’une peau d’âne crue, non traitée, autour de laquelle bourdonnait une nuée de grosses mouches. Cette infamie représentait l’expulsion du condamné selon un processus de déshumanisation entrepris à la cour et qui allait se conclure sur l’échafaud.
    Avant qu’il ait eu le temps de crier « non », Baillehache l’avait déjà solidement arrimé à la claie et avait rabattu la peau sur lui, en faisant une sorte de créature mi-homme, mi-âne. Le monde n’était plus qu’un chaos de jambes, de mouches et de géants penchés sur lui.
    — Je suis là, Firmin, dit juste derrière lui la voix douce de Lionel à travers cette confusion.
    Il se tordit le cou en clignant les yeux.
    Il n’eut pas le temps de parler : devant, Baillehache empoigna les guides, et la procession s’ébranla, des gardes et le héraut en tête, le bourreau derrière. La tête de Firmin se mit à cogner contre des pavés inégaux. Où qu’il posât le regard, il ne voyait que des jambes, des visages tordus et des poings fermés. Des gens lui crachaient dessus et lui jetaient des immondices. Un homme défit ses braies et urina dessus, sous les rires et les acclamations de gens parmi lesquels, sûrement, se trouvaient d’anciens clients. Occasionnellement, la voix puissante de Baillehache couvrait les lazzis de la foule et les murmures à peine perceptibles de Lionel pour donner un appel spécial. De temps en temps, le moine se penchait pour tenir la tête de Firmin lorsqu’il voyait arriver l’un de ces pavés qui labouraient le dessous de la claie. Chaque fois, il s’attirait des invectives. Quelqu’un, irrité, le tira même par la manche et le bouscula. Pourtant, parmi cette horde de sauvages, Lionel découvrit qu’il y avait des âmes charitables. Un vieux boulanger à la retraite essaya de s’approcher pour offrir à Firmin une dernière rasade. Il fut tiré en arrière par des gardes. Une femme se pencha avec une écuelle d’eau. Quelqu’un donna un coup de pied dedans.
    Des marchands avaient passé la veille et la matinée à vendre des places. On avait dressé en hâte des échafaudages qui pliaient sous le poids des gens. Ces opportunistes faisaient des affaires d’or, car Firmin était un artisan connu, et sa condamnation attirait davantage de spectateurs que ne l’aurait fait celle d’un manant anonyme. Au fur et à mesure que la claie avançait, la foule se désagrégeait derrière elle pour aller se reformer plus loin comme un affreux caillot. La procession s’engagea sur le pont aux Meuniers. Baillehache jeta un coup d’œil sur la Seine chargée de moulins. Il fut étrangement soulagé que les Bonnefoy ne soient plus de ce monde pour le voir à l’œuvre.
    La place de Grève fut bientôt en vue. Mais Firmin ne la vit pas. D’innombrables voix éclatèrent au-dessus de lui, saluant l’arrivée du sinistre cortège. Il ne vit l’échafaud que lorsqu’ils s’arrêtèrent tout à côté.
    — Non. Grâce, protesta-t-il faiblement à Baillehache qui était venu s’accroupir auprès de lui pour couper les liens le retenant à la claie.
    — Allez, debout. Debout, dit Baillehache tandis que l’un des assistants se chargeait de la mule.
    Le héraut et le moine attendaient. Dans la foule, des voix disparates entonnèrent le Salve Regina. Le chant

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