Le jardin d'Adélie
chevelu. Un peu de sang goutta sur les joues et le long de l’arête du nez. Firmin n’essaya pas de se débattre : il urina par terre, noyant les quelques misérables touffes de poils gris que le bourreau laissait tomber autour de lui.
Firmin sentit une main le saisir sous l’aisselle pour le soulever. Le garde remit au bourreau une longueur de fil à pêche en chanvre qu’il utilisa pour lier les mains du condamné devant lui et pour lui entraver les pieds. La corde qui reliait ses chevilles et ses poignets ne lui permettait pas de lever les bras. Baillehache lui passa autour du cou le nœud coulant symbolique et lui remit une chandelle qui allait être allumée juste avant leur sortie.
— On y va, dit le bourreau.
Le garde sortit en premier, suivi de Lionel. Firmin sentit que Baillehache empoignait la corde qui lui pendait dans le dos. Il tourna la tête et vit le cachot minuscule où il avait croupi si longtemps. Et ce cachot, il regrettait de le quitter comme si c’était sa maison. Il vit que Baillehache enroulait l’extrémité de la corde autour de sa main.
— Avance, dit-il brusquement en donnant une poussée au vieil homme.
C’était une journée nuageuse. Firmin se sentait confus et étourdi par le changement subit d’environnement. La lumière, l’air frais, l’espace vaste et les cris d’une foule nombreuse qui attendait lui occasionnaient des vertiges.
Dès que la chandelle fut allumée, la courte procession sortit dans la cour, où attendait Guy, un des assistants de maître Gérard, avec une mule attelée à une charrette. Les cris de la foule décuplèrent et Firmin commença à se faire bombarder de déchets. Firmin, Baillehache et Lionel furent seuls à grimper dans la charrette. Le garde alla se mettre en tête du convoi, tandis qu’une escorte se formait derrière et de chaque côté. Le bailli faisait partie des fonctionnaires de justice qui avaient pris les devants, précédés d’un héraut. Guy s’occupait de guider le mulet à pied.
Baillehache regardait droit devant lui, sa main serrée sur la corde qui pendait dans le dos du condamné affaibli que les soubresauts de la charrette jetaient sans cesse contre lui. Lionel tenait ouvert devant ses yeux un petit livre de prières, mais il fut à peu près incapable d’en lire. Le vacarme était tel que nul ne le remarqua.
Une fois la charrette parvenue à destination, juste devant Notre-Dame, tout se fit très vite. Baillehache poussa Firmin au bout du véhicule, où des gardes l’aidèrent à descendre. Lui-même sauta en bas et laissa à peine au bénédictin qui les accompagnait le temps de les suivre jusqu’en haut des onze marches. Un héraut disait quelques mots à la foule qui se pressait, immuable, écœurante, jamais repue. Encadré du moine et du bourreau, le vieillard regardait autour de lui d’un air hébété.
— Tu as besoin d’aide, peut-être ? lui dit soudain le héraut qui s’était planté tout près et lui jetait un regard de côté.
La chandelle tremblait dans les mains jointes de Firmin. Un peu de cire s’écoula doucement et vint se figer sur le chanvre qui mordait les poignets de l’homme.
— Je…
— Faites silence, cria le héraut à la foule, qui cessa aussitôt ses imprécations.
Firmin garda les yeux baissés sur la flamme vacillante. Son tremblement se communiqua au menton du condamné, puis à sa voix. Il leva brièvement les yeux.
— Si j’ai fait du mal, je m’en excuse, je… je ne savais pas…
— Hou !
Les huées initiées par quelques personnes se répandirent comme un feu de paille dans toute l’assistance, parmi laquelle certains se retournaient pour demander :
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
Le héraut s’était hâtivement penché vers Firmin pour lui murmurer quelque chose à l’oreille, à la suite de quoi il cria : – Silence, silence !
Les voix se turent et les poings s’abaissèrent à nouveau. Firmin dit, d’une voix sans timbre :
— Je demande pardon au roi, à la justice et à Dieu pour ce que j’ai fait.
Les gens l’acclamèrent.
— Tu vois ? Ce n’était pas bien difficile, lui dit le héraut.
Baillehache lâcha la corde et montra un petit objet, à Firmin d’abord, puis à la foule. Cela ressemblait à un pétrin miniature. Il annonça :
— Le lien unissant Firmin Ruest au monde des vivants…
Il prit le petit bâton par chacune de ses extrémités, le cassa et jeta les morceaux aux pieds du condamné. Il
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