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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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de la chrétienté, demeura cette nuit-là au creux de la bible enluminée du monastère. Il n’y avait rien là qui ne fût applicable à tous ; depuis toujours. Les aumôniers de prison récitaient des choses toutes faites, ils distribuaient des leçons de catéchisme là où il aurait fallu arracher à l’âme une ferveur ressentie. Il aurait fallu un dialogue d’une âme à l’autre et non pas une parcelle d’enseignement prodiguée sans conviction à un élève jugé irrécupérable. Il lui fallait consoler Firmin quand il savait que, bientôt, il devrait être également auprès de lui au moment où on allait l’entraver et le tondre, il devrait l’accompagner à travers l’affreuse foule démontée lorsqu’il serait cahoté sur la claie, l’embrasser au pied de l’échafaud comme un frère, pour demeurer là, fidèle à son devoir, jusqu’à ce que ce frère ne soit plus qu’une tête et un corps.
    Lionel n’avait qu’une envie, celle de vivre en communion totale avec lui ces moments terribles. Il aspirait à se traîner à genoux avec lui et à l’enlacer, à pleurer avec lui les mêmes larmes. Il aurait voulu être suffisamment éloquent pour voir Firmin consolé, pour lui retirer par ses paroles un fardeau qui n’était pas le sien et pour le convaincre, avant qu’on ne vienne à lui pour lui prendre la vie, de permettre à Dieu de lui prendre son âme.
    Il ne se rendit pas compte tout de suite que le vieillard s’était jeté dans ses bras et qu’ils pleuraient ensemble. La chandelle s’éteignit.
    — C’est pour bientôt, mon père, dit une voix de l’autre côté de la porte.
    — Déjà ?
    La nuit hypocrite avait filé sans rien laisser paraître en abandonnant derrière elle un jour tronqué.
    — Permets-moi de t’offrir les derniers sacrements… mon fils, dit doucement Lionel.
    Firmin haleta et libéra le moine de son étreinte.
    Lionel se leva. Des frissons d’épuisement le parcoururent tandis qu’il administrait l’extrême-onction à Firmin qui n’en comprit pas un mot. Il entendit ouvrir et fermer une lourde porte dont le verrou grinçait. Le trousseau de clefs à la ceinture du geôlier carillonna, il y eut des pas précipités et enfin le fracas de la trappe qui s’ouvrait et le tremblement de la grosse échelle sous le poids de plusieurs hommes conversant à voix basse. Dans le cachot, ils entendirent distinctement une voix familière, celle du bailli qui disait :
    — Vous devez contresigner la levée d’écrou, maître.
    La levée d’écrou. C’était l’ordre de livrer le condamné à son exécuteur. Firmin aussi avait entendu. Il souffla :
    — Non !
    Le religieux fit un signe de croix presque violent au moment même où le cadenas de fer cliquetait dans la main du geôlier. Firmin se traîna à genoux dans la paille souillée jusqu’à Lionel et lui étreignit les jambes en s’y cachant le visage. Il dit, d’une petite voix :
    — Ne les laisse pas me prendre… je t’en supplie.
    Le geôlier déverrouilla la porte et livra le passage à deux hommes, un garde qui se planta à l’entrée et le bourreau dont le visage était déjà dissimulé sous une cagoule noire. Ce dernier dut baisser la tête pour entrer. Il tenait dans sa main nue un rasoir émoussé. Il tourna la tête en direction du religieux. Lionel se sentit scruté jusqu’au tréfonds de l’âme. Le pouce du bourreau caressa machinalement le manche du rasoir et il resta là un instant sans rien faire. Le geôlier et le garde se regardèrent.
    — C’est l’heure, dit-il d’une voix égale.
    Il s’avança.
    « Tout ce noir ! » se dit Lionel. « Il aspire à lui toute lumière, tout ce qui représente la vie. Ainsi cet homme en noir prend-il sur lui la vie des autres et l’absorbe. »
    — Il faut me lâcher, Firmin. Allons, courage ! Je vais prier pour toi. Je serai juste là.
    Il parvint à se libérer. Il se redressa et posa les yeux sur les fentes de la cagoule derrière lesquelles scintillaient deux prunelles sombres qui le fixaient intensément. Le moine recula vers la porte, cédant sa place au bourreau. Firmin voulut se lever pour le suivre.
    — Reste à genoux, dit Baillehache, qui lui plaqua une main large sur l’épaule.
    Il lui empoigna les cheveux et lui tira la tête en arrière, contre ses jambes, avant d’entreprendre de scier brutalement le chaume crasseux de sa tête avec son rasoir émoussé. À plusieurs reprises, la lame entama le cuir

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