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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Sans-Croc prit peur et s’enfuit de sa démarche claudicante. Il sema ses gémissements inarticulés dans la rue où un sergent de guet entreprenait sa patrouille de nuit. Tous les gamins de la bande éclatèrent de rire. Tous sauf Hugues qui avait baissé les yeux.
    Sur le pavement gras, entre ses pieds chaussés de sabots trop grands pour lui, un rat achevait d’agoniser en se tortillant.
    Le guetteur qui jurait avoir entendu des rires quelques minutes plus tôt déboucha sur une rue presque déserte. Seul un gamin chargé d’une grosse hotte vide tournait au carrefour. Il crut le reconnaître.
    — Eh, petit ! Il se fait tard. Hâte-toi de rentrer, d’accord ?
    Louis s’arrêta et leva joyeusement la main. Car, en ce vendredi soir, il était l’enfant le plus heureux en ville. Il avait trois belles grandes journées devant lui.
    *
    — C’est l’heure, mon petit roi, dit la voix douce d’Adélie. Louis sentit les doigts de sa mère lui peigner les cheveux vers l’arrière comme elle le faisait si souvent. Invariablement, les mèches courtes et raides du garçon lui retombaient sur le front. Cela chatouillait. Il ouvrit les yeux et lui sourit. Le bougeoir qu’Adélie tenait diffusait une lumière miellée dont la qualité, des années plus tard lorsqu’il évoquerait ces réveils nocturnes de son enfance, lui paraîtrait toujours unique au monde.
    Il faisait encore nuit noire. Louis se hâta de se lever et s’habilla après avoir mis de l’ordre dans son lit sous l’échelle. Il descendit rejoindre sa mère à l’ouvroir. C’était comme un jour de fête. Il aimait bien prendre ainsi la maison par surprise alors qu’elle était profondément endormie.
    Firmin était parti chez le meunier Bonnefoy vendredi et il n’allait rentrer que tard lundi soir, car il était allé y faire moudre une abondante quantité de grains. Même si le moulin se trouvait en ville et assez près de chez lui, Firmin passait quelques jours là-bas à chacune de ses visites. Il fallait du temps pour moudre à frais réduits autant de grains, et il valait mieux que le boulanger demeure sur place pour veiller à ses affaires. Firmin devait s’absenter ainsi plusieurs fins de semaine par année pour satisfaire à la demande. Les deux hommes prenaient prétexte de ces visites émaillées de bruyants marchandages pour s’adonner à force jeux et libations. Au fil des ans, ils étaient devenus de très bons amis.
    La boulangère profitait de ces absences prolongées pour transmettre clandestinement son savoir à son fils.
    Adélie avait ouvert la porte tout grand sur la rue silencieuse. Ils se tinrent tous les deux sur le seuil et ne parlèrent plus qu’en chuchotant. La nuit qui régnait sur la ville était plus calme que d’habitude. Elle avait cette agréable propriété sédative que seuls les dimanches savaient distiller. Celui qui s’achevait avait été l’un de leurs rares jours de repos et ils avaient pu le passer ensemble, seuls tous les deux dans la maison qui en avait paru agrandie.
    Louis leva la tête. Là-haut, les étoiles étaient si nombreuses qu’il en fut pris de vertige. La nuit aussi avait le cœur à la fête.
    — Asseyons-nous, dit Adélie.
    Ce qu’ils firent. Elle posa son bougeoir en fer forgé sur un pavé devant eux. Il fit une étoile de plus à cette belle nuit, et un petit papillon gris la trouva de son goût. L’insecte se mit à tracer autour d’elle une série de cercles maladroits pour lui rendre hommage. Parfois, lorsque son propre élan le galvanisait un peu trop, il disparaissait à la vue de ses spectateurs pour reparaître là où l’on ne l’attendait pas.
    — Mère, dit soudain Louis, quand je suis sorti de votre ventre, étiez-vous déjà vieille ?
    — Hou là ! Laisse-moi d’abord me remettre de cette question. Je vais ensuite tâcher d’y réfléchir.
    Adélie rit affectueusement. Bien sûr, pour un enfant de sept printemps, en avoir vingt-trois paraissait très âgé. Surtout lorsqu’on avait déjà des cheveux blancs. Louis reprit :
    — Parce que moi je pense qu’on est venus au monde ensemble. Je suis vous et vous êtes moi.
    — Oh, mon petit roi ! dit-elle, émue, en étreignant son fils.
    Des moments comme celui-ci la rendaient pleinement consciente du fait qu’elle était aussi assoiffée d’affection que lui. Elle dit :
    — Tu es bien davantage que moi, Louis. Tu iras beaucoup plus loin. Ça, je le sais. Tu deviendras un grand

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