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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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consommation qu’à celui de la qualité du pain. L’alchimie entre les ingrédients pourtant simples était fragile.
    Louis apporta les bluteaux, ces tamis conçus pour séparer la farine des divers éléments considérés comme des déchets. Les Ruest possédaient plusieurs types de bluteaux, depuis ceux qui laissaient passer de petites particules jusqu’à celui dont le treillis très fin transformait la farine en neige poudreuse. Le jeune mitron se mit au travail et tamisa la farine dans de petits tonneaux différents.
    — Peu importe qu’il soit blanc ou noir, on doit faire du bon pain ou alors il vaut mieux ne pas en faire du tout, dit Adélie qui s’occupait du feu grondant. Mon père m’a dit qu’il y a trente-sept ans, pendant la disette, seize boulangers ont été mis au pilori avec un de leurs pains dans chaque main parce qu’ils avaient mélangé des ordures à leur pâte. Des ordures, tu te rends compte ?
    Louis grimaça.
    — Ils ont été ensuite bannis du royaume, dit Adélie. C’est que, vois-tu, le pain est l’aliment le plus important du monde. Et nous seuls savons comment le fabriquer {24} .
    Louis écoutait sans arrêter de travailler. C’était le seul moment où sa mère s’autorisait à parler autant et avec une telle passion. Il ne s’en lassait jamais. C’était un plaisir trop rare qu’il aurait savouré des heures durant.
    — Le pain est l’aliment de base. Non seulement il sert de tranchoir, les restes sont également utilisés comme agent pour lier des sauces. Et des sauces, tu ne peux imaginer comme il y en a qui sont exquises.
    — On fait aussi de la fromentée*.
    — Oui, et de la bouillie d’avoine, du gruau et de bons potages d’épeautre.
    Adélie jeta un coup d’œil affectueux à son fils qui travaillait avec beaucoup d’application. Elle reprit :
    — Notre métier est le plus beau du monde. Le forgeron travaille le fer qu’il a et le pêcheur doit prendre ce que la mer lui donne. Mais nous, nous pouvons contrôler chaque étape de la fabrication de notre pain, depuis le champ où pousse le blé jusqu’à la première bouchée que prendra un client. Nous achetons le meilleur blé qui soit. Il provient de Gonesse* et de Chailly*. Rappelle-toi bien ces noms. Nous le faisons moudre à notre manière chez le meunier. Nous avons nos recettes secrètes. Et, finalement, toi tu vas livrer de ce bon pain.
    Louis leva la tête et sourit. C’était si merveilleux de se sentir utile.
    — Un jour, tu en sauras autant que moi. Tu apprendras à chauffer le four. Tu sauras tout ce qu’un bon boulanger doit savoir, et c’est là bien davantage que ce qu’on ne serait porté à croire. Nous faisons intervenir les forces essentielles, celles-là mêmes qui donnent la vie : la terre, l’eau, l’air et le feu. Il y a tout cela dans le pain. Car le laboureur récolte le grain de la terre, le boulanger le mêle à de l’eau, le levain lui donne de l’air et, pour finir, le feu du four transforme la pâte en pain.
    Un peu de farine en tombant du bluteau chatouilla le dos de la main de Louis. C’était comme une caresse.
    — Les outils dont on se sert existaient déjà bien avant qu’il y ait des églises et des villes : les bluteaux, les moules, les panetons et le pétrin. Ces ustensiles sont nos insignes et nous devons en être fiers.
    Les joues d’Adélie étaient rosées. Si le cidre et la chaleur y étaient pour quelque chose, la joie en avait cependant la plus grande responsabilité.
    — Ici, à Paris, notre travail est plus soutenu qu’ailleurs, car nous devons répondre à la demande.
    — Et il y a beaucoup de demande à notre boulangerie.
    — Tout à fait. Et c’est cela, notre plus grande fierté.
    — J’ai fini.
    — Très bien. Maintenant, vérifions le levain.
    Elle apporta le vieux pot de grès aux parois internes glacées. Il était enveloppé de linges humides et avait passé la nuit près de l’âtre, afin que son contenu ne prenne pas froid. Il s’agissait d’un morceau de pâte à pain aigrie destiné à propager la fermentation dans les autres pâtes qui allaient être préparées. Ce levain chef était nerveux, car sa souche était très ancienne. Une petite quantité de cette vieille pâte, riche en spores de levure prêts à proliférer, mêlée à de la farine ordinaire, de l’eau et parfois d’autres ingrédients, suffisait pour engendrer après un temps une pâte à pain d’une grande finesse. Elle produisait

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