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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’autre levain pour la fournée du lendemain.
    — L’âme d’une boulangerie, c’est son levain, dit Adélie. Plus sa souche est ancienne, meilleur il est. La lignée du nôtre a été commencée par ton arrière-grand-père.
    — Celui qui cuisait du pain pour le roi ?
    — C’est ce qu’on dit. Tu te souviens comment entretenir le levain, n’est-ce pas ?
    — Il faut lui donner de l’ouvrage et le garder au chaud. C’est comme pour nous. Il faut une mesure de levain pour dix de farine. On le dissout dans l’eau avec un peu de sel pour qu’il agisse mieux.
    — Très bien.
    Ils travaillèrent ensemble la même pâte sur le plan de travail en bois lisse blanchi par l’usage. Les mains du jeune mitron, sous celles de sa mère, s’étaient réchauffées. Tout en supervisant le travail de son fils, Adélie dit :
    — D’après la légende, ce serait un Juif qui aurait jadis inventé le pain tel que nous le connaissons. Avant, il ressemblait plutôt à de grosses galettes. Or, ce Juif aurait laissé traîner sa pâte avant de la cuire. Elle a fermenté, mais il la fit tout de même cuire pour ne pas la gaspiller. Imagine sa surprise lorsqu’il a sorti son pain du four, tout léger et moelleux. C’était nouveau et le goût était très différent, mais agréable.
    — Pourquoi Père n’aime-t-il pas les Juifs, alors ?
    — Je l’ignore. Mais mieux vaut que tu ne lui parles pas de cette histoire.
    — D’accord.
    Firmin n’appréciait pas cette suspecte absence de préjugés chez sa femme. Comme la plupart de ses compatriotes, il disait que les Juifs étaient sales, hypocrites, trop nombreux et qu’ils étaient tout juste bons à servir de réserve monétaire au peuple chrétien.
    Adélie s’occupa de mesurer les quantités des farines variées dont elle allait avoir besoin pour confectionner divers types de pains.
    — C’est une grande responsabilité de conduire la fermentation de ce levain, Louis, dit-elle en reprenant le fil de la conversation. Ce pot est le seul héritage que tu recevras de l’aïeul qui t’a donné ton nom. Notre famille n’avait pas de statut et nous ignorons à quoi l’ancêtre ressemblait. Mais il t’a laissé un héritage bien plus précieux qu’une fortune en argent, que cette belle maison ou de beaux habits : ce levain assure ton avenir, car il te permettra de bien gagner ta vie avec le travail le plus noble qui soit. Tout est là, dans ce petit pot.
    — Traiter le levain de bonne souche avec amour et respect, là se trouve la tâche la plus élevée du boulanger, récita Louis par cœur, tout fier.
    La boulangère sourit en repoussant une mèche de cheveux pâles qui s’était échappée de sa coiffe. La mèche vieillit de quinze ans, à cause de ses doigts enfarinés. Louis récita encore en chantonnant, comme une comptine :
    — Un bon boulanger doit savoir estimer la température de son four, reconnaître les sortes de farine et savoir si elles sont bonnes à servir. Il doit se souvenir comment faire toutes sortes de pain. Pour cela, il faut qu’il sache les dosages et la durée de pétrissage de chacun…
    — Mais… ?
    — Mais ce n’est pas tous les jours pareil. On ne peut pas seulement « apprendre ». Ce qu’il faut surtout, c’est du savoir-faire et de… de l’in-tui-tion.
    —  Fit fabricando faber.
    Louis rit.
    — Vous parlez comme à l’église.
    — C’est du latin. Quelqu’un m’a un jour appris cette maxime. Elle signifie à peu près : C’est en forgeant que l’on devient forgeron.
    Louis retira sa tunique et alla la déposer sur un tabouret. Adélie avait commencé à incorporer lentement du levain dissous dans une quantité convenable d’eau tiède à l’une des sortes de farine que le garçon avait tamisées. Le pétrissage allait commencer. C’était pour eux la partie la plus exigeante de la journée. Le travail de la pâte était une besogne d’homme et, sans Firmin, il était très long et pénible de la mener à bien. Sobre, Firmin devait normalement pétrir à bras et dans le pétrin environ soixante-cinq kilogrammes de farine pour trente-cinq litres d’eau. Adélie était étonnamment forte pour une femme de sa stature. Elle se chargea de cette tâche trop difficile pour des bras de petit garçon. La boulangère et son fils se turent pendant un long moment. À l’aide d’une raclette, Louis rejetait dans la cuve du pétrin des parcelles de pâte qui adhéraient aux parois. Il ne

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