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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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dont ils étaient apprêtés ; il lui arrivait même d’en croquer des tranches crues ; avec leur pelure aux touches de violet, ils constituaient l’une de ses friandises favorites.
    Le même tombereau de brêlée* traînait depuis au moins un mois devant une maison. Louis eut la surprise d’y découvrir ce matin-là une petite chèvre toute blanche qui s’en désintéressa pour venir lui quémander des caresses.
    En saison, des fillettes s’égaillaient le long des rives de la Seine pour y cueillir de bon matin marguerites et centaurées qu’elles s’en allaient ensuite vendre par les rues. Elles évitaient toujours Louis d’instinct alors qu’elles se plaisaient à badiner avec les autres garçons. La venue des premières gelées les avait reléguées chez elles et Louis en profitait pour s’approprier ce royaume abandonné aux herbages rêches.
    Petit Pain grossissait. Son poil lustré était doux sous la paume de Louis, qui allait le visiter quotidiennement sous les combles. Chaque soir, le chaton lui faisait la fête et dévorait sa nourriture. Louis veillait à lui laisser en tout temps une écuellée d’eau fraîche et un peu de paille propre sur laquelle dormir. Plusieurs fois par jour, Adélie faisait sortir le chat pour ses besoins. Il ne fallait pas que l’odeur forte de son urine trahisse sa présence. On eût dit que Petit Pain avait compris l’importance de cette précaution, car il ne faisait jamais de saletés.
    Dès le premier soir où son fils revint avec un morceau de bon lard, Adélie vit ses soupçons confirmés. Voilà que Louis venait d’apprendre, de la pire manière qui fût, qu’il n’avait pas à dépendre uniquement de son père pour assurer leur subsistance à tous deux. Elle lui avait bien sûr fait part de ses réticences, mais force lui avait été d’admettre que peu à peu, grâce à ces suppléments presque quotidiens de bonne viande, elle avait commencé à reprendre des forces.
    *
    Au fur et à mesure que les semaines s’écoulaient, Louis gagnait en habileté. Ses manœuvres devinrent de plus en plus discrètes. Bientôt, il se mit à voler quelques aliments à l’un ou l’autre marché de la ville, tous des lieux qu’il n’avait jusque-là jamais fréquentés. C’était plus facile qu’il ne l’avait cru, puisque les gens ne portaient attention à ce pauvre Ratier à Firmin que pour lui acheter de sa marchandise. Son personnage s’enrichit ainsi d’une nouvelle fonction défensive et, grâce à cela, la nature de son butin se mit à changer. En plus de la viande indispensable, Louis pouvait parfois rapporter deux pommes, une poignée de châtaignes ou une petite pointe de fromage importé. Un soir, il revint même avec des tranches d’orange séchées. Il y goûta pour la première fois avec délices.
    Pourtant, il aurait été faux d’affirmer que personne n’avait remarqué le manège de Louis. Pendant les quelques semaines qui avaient suivi Noël, quelqu’un s’était mis à l’espionner. Et ce qui n’avait d’abord été qu’une simple curiosité s’était vite mué en un intérêt plus sérieux.
    Une fin d’après-midi du mois de janvier, au marché des Halles {28} , l’espion observa de loin Louis en train de se faufiler entre les jambes de badauds attirés par un cracheur de feu. L’enfant se trouvait parmi les curieux dont l’attention était détournée par le spectacle, mais il se déplaçait lentement vers l’arrière, à reculons, comme quelqu’un qui cherche une meilleure vue. Sa hotte heurta l’étal d’un marchand de laitages. Le propriétaire s’était hissé sur la pointe des pieds afin de ne rien manquer. De longues flammes sortaient miraculeusement de la bouche de l’individu comme de celle d’un dragon. Le Ratier finit par se détourner de la scène, apparemment découragé par la foule trop dense. Mais l’espion avait eu le temps de remarquer le fromage à croûte blanche qui était apparu dans sa main.
    — On y va, dit Hugues en faisant signe à ses acolytes.
    En un rien de temps, Louis fut encerclé. Des applaudissements crépitèrent derrière son dos : le cracheur de feu devait s’être surpassé.
    À sept ans, le garçon à l’air égaré atteignait la taille des plus jeunes d’entre eux, les adolescents de douze ans, mais il ressemblait à un grand roseau cassant. Ses traits encore enfantins demeuraient incongrus pour quelqu’un de sa taille. Son regard fuyant ne se posa sur personne. Il laissa

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