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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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main, mais à quoi bon se pencher pour en boire si le besoin ou même la simple envie d’y goûter n’y est pas ? Louis était l’ami de Hugues, mais on eût en vain cherché la réciproque. Nul n’était dupe de cette relation ambiguë, mais on l’acceptait comme telle.
    À partir de là, Louis put même rapporter des épices et du sucre de canne chypriote à sa mère. Il prit soin de laisser les pièces de monnaie, le tissu et les bijoux aux copains, car la présence de ces objets dans la maison n’aurait pas manqué d’attirer l’attention de Firmin.
    Ce fut vers cette époque que Louis entreprit d’étudier la portée de son nouvel ascendant sur les autres. Il tâcha d’abord de terroriser des passants. Il choisissait quelqu’un au hasard et se plantait devant lui sans un mot. Il ne le quittait pas des yeux et laissait l’inconfort monter. Dès l’instant où l’individu commençait à manifester des signes de lassitude et tentait de passer son chemin, Louis le piquait discrètement avec un poinçon rudimentaire qu’il s’était taillé dans une pierre. Il éprouvait un plaisir nouveau à observer l’étonnement et la douleur qui se peignaient sur le visage de ses victimes.
    Les gamins de la bande apprirent tôt à reconnaître les signes précurseurs de colère sur le visage de Louis. Une fois, Aubert lui prit son poinçon juste à temps : Louis avait l’envie irrésistible de le planter dans la cuisse d’une fillette prétentieuse qui l’avait dévisagé.
    Parfois, Petit Pain ne voulait pas voir son jeune maître. Le chat sentait d’instinct les moments où Louis venait à lui avec des dispositions malsaines depuis le jour où il avait tenté de lui brûler un flanc avec sa chandelle. La bête grimpait alors hors de portée et le regardait depuis le sommet des baliveaux. Il s’y installait et attendait.
    — Va au diable, saleté, disait alors Louis, et le garçon s’en allait.
    Mais, d’autres fois, il se couchait par terre et se mettait à pleurer en silence. Dans ces moments l’enfant se sentait indigne, entièrement démuni et seul. Petit Pain descendait alors le rejoindre et se pelotonnait contre lui. Il léchait ses larmes en ronronnant.
    Cet hiver-là, Adélie fut brutalement amenée à découvrir, grâce à Firmin, en quelque sorte, cet aspect caché de la personnalité de son fils.
    *
    Vers la mi-février, le boulanger dut retourner au moulin. Il valait mieux moudre les céréales au fur et à mesure, selon les besoins, car les grains se conservaient mieux que la farine. Et, pour la première fois, Firmin emmena Louis avec lui. Le garçon avait endossé son habit propre qui commençait déjà à être trop petit.
    De nombreux moulins à eau avaient été édifiés sur le Grand Pont {29} , le long du fleuve et même au beau milieu de son lit, perchés sur des pilotis. La réputation de celui de Bonnefoy était presque séculaire, puisque la meunerie de son aïeul était l’une des plus anciennes à s’être installée en ville. Son moulin avait commencé par moudre les abondantes récoltes de la Beauce, parmi les premières à alimenter la ville. Le marché le plus ancien de Paris, situé sur l’île de la Cité {30} , s’appelait d’ailleurs marché de Beauce.
    Client privilégié, le boulanger bénéficiait partout d’une réduction de la taxe qui était payée en nature au meunier. Il était en outre autorisé à faire écraser en une seule fois des quantités importantes de grains, Firmin étant un client fiable et de longue date. Le meunier Bonnefoy lui demandait moitié prix depuis plusieurs années. Les Ruest leur apportaient de nombreuses affaires et leur bonne réputation déteignait sur lui. Les deux hôtes furent donc traités avec égards pendant leur séjour. On s’efforça de considérer avec la même déférence l’étrange fils Ruest qu’ils n’avaient jamais rencontré auparavant.
    Le garçon n’eut pas le temps de s’ennuyer des vacances. Non seulement il aida son père en travaillant d’arrache-pied – ce qu’il appréciait bien plus que son père ne l’eût cru –, il trouva de plus le moulin à eau tout à fait fascinant.
    C’était une espèce de maison-navire amarrée en permanence au beau milieu du fleuve grondant. Elle reposait sur une armature de pieux enfoncés profondément dans le lit de la Seine, directement dans son cours, et était reliée à la berge par une passerelle. Le moulin était composé de trois sections : la

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