Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
Parce qu’il est rond et tout doré.
    *
    Ses premières tentatives exigèrent un certain temps. Il lui fallait être prudent, car même un enfant pris en flagrant délit de vol était soumis à de graves châtiments corporels. Louis avait souvent vu en ville des hommes à qui il manquait le nez ou une main. Il avait également vu des enfants à peine plus âgés que lui mis au pilori après avoir été fouettés jusqu’au sang en public. Il connaissait bien la morsure d’une lanière de cuir plate dans son dos et il arrivait que la boucle de la ceinture de Firmin le fît saigner, mais il ne s’imaginait pas subir cette punition dégradante au vu et au su de tous, d’une main étrangère. Il était déjà suffisamment l’objet de moqueries sans cela.
    Plus que jamais, sa connaissance de la ville, acquise au cours des longues heures passées à en arpenter les rues, s’avéra utile. Même si ses investigations retardaient son retour à la maison d’une bonne heure chaque soir, personne ne s’en formalisa. Louis se rendit vite compte que l’endroit idéal pour commettre ses larcins se trouvait du côté de la paroisse Saint-Jacques, dans le quartier des bouchers et des tanneurs. On ne s’attardait généralement pas dans ce coin-là à cause de l’odeur épouvantable qui y régnait » sang, tripaille, chair animale faisandée ou en décomposition, urine et toutes sortes d’autres remugles qui donnaient la nausée. Les rats qui traînaient dans les rues de ce quartier étaient énormes. Louis ne quittait plus la maison sans son gourdin. Ces bêtes répugnantes se laissaient occire sans difficulté, tellement elles infestaient ce lieu. Le parcours de Louis y fut donc semé de rats morts. Mais personne ne les remarqua.
    Du côté du Châtelet, une rue couverte donnait rue Saint-Leuffroy. L’endroit était digne d’intérêt. Les marchands étaient nombreux en ces lieux, puisqu’il semblait s’y produire toutes sortes de perceptions. Il y avait aussi un coin près du Pont aux Meuniers où se concentraient les Lombards. Non loin de là se trouvait l’ancien quartier juif.
    Louis s’était fabriqué un carnier rudimentaire et facile à cacher sous sa tunique, avec une retaille de cuir endommagée qui avait été oubliée dans un coin d’atelier par son propriétaire. Il y enfouissait pêle-mêle bouts de saucisse, abats de volaille, de poisson ou de porc et même, parfois, un bon morceau de viande et quelques harengs fumés. Par prudence, il prenait toujours garde de ne voler que de petits aliments qui n’allaient manquer à personne. Ensuite, il changeait de secteur. L’enfant veillait également à ne pas emporter de viande avariée, même s’il fallait pour cela mettre davantage de temps à sélectionner ce qu’il devait prendre. Il avait appris que la faim n’empêchait pas les vers contenus dans la chair pourrie d’envahir le ventre et de donner des maladies.
    Louis aimait le Paris d’avant l’aurore. Quand la ville somnolait encore un peu, il s’y glissait sans bruit tel un petit spectre, parmi les dernières canailles furtives, vestiges de la nuit, les chiens errants et les hommes de guet dont la vigilance s’était relâchée. Il fallait prendre garde aux contrevents qui s’ouvraient parfois pour cracher sur le pavement le contenu d’un pot de chambre. La ville et la Seine étaient sales. Le fleuve gargouillait, chargé de barques et de bacs sur lesquels s’entassaient des assortiments de vivres. La plupart du temps, des nuages d’insectes nés de l’humidité les survolaient. On ne pouvait rien y faire : la vie était faite ainsi.
    La mauvaise odeur de la ville était largement compensée par ses couleurs. Louis se faufilait, agile, parmi les monceaux de primeurs d’où dépassait souvent le plumail* rigide d’une botte de poireaux. Il y avait de tout : raves, oignons, courges, panais et des cageots remplis de gros choux. Les marchands préparaient parfois d’avance leurs beaux paniers de fruits où trônaient pommes, poires et cerises vernies semblables à des bijoux. De cela il ne s’approchait pas, malgré l’attirance que ces présentations exerçaient : un fruit manquant risquait d’être trop apparent. De plus, il ne tenait pas à prendre le risque de faire s’ébouler une structure fragile. En revanche, il aimait bien à s’attarder du côté des pyramides de navets laborieusement montées. En bon Parisien, Louis raffolait des navets, quelle que fût la manière

Weitere Kostenlose Bücher