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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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cancrelat, interrompait soudain son fantasme, il se mettait à chercher fébrilement un endroit où cacher son fruit à demi mangé, pour ne pas que Firmin apprenne l’existence de son passage secret. Ces rêves éveillés finissaient par le laisser exténué, la tête vide.
    La colique l’empêchait graduellement de repartir. Il lui fallait absolument se retenir, ne rien salir, sinon il allait être obligé de tout nettoyer et il savait que l’odeur des déjections risquait de persister malgré tout. Et il n’avait pas envie de dégrader davantage ses conditions de détention déjà suffisamment précaires. Il prenait son mal en patience et se couchait sur le flanc des heures durant, en position fœtale. Parfois, lorsque les murs commençaient à se resserrer autour de lui, Louis étouffait. Il se rasseyait et se berçait d’une façon agressive en se frappant le dos contre la paroi rugueuse, sans se rendre compte dans sa panique que les ecchymoses qu’il avait là se remettaient à saigner.
    Firmin n’était pas un homme intelligent. Dans le cas contraire, sa cruauté eût été plus subtile. Les conséquences de ses actes lui indifféraient complètement. Tout ce qui importait pour lui, c’était de savourer le pouvoir qu’il détenait sur les siens. Il ignorait donc que par ses agissements il inoculait en Louis des ferments de sa propre férocité. Adélie n’en savait rien non plus, car, lorsqu’ils étaient ensemble, la brutalité embryonnaire de Louis se mettait automatiquement en veilleuse.
    L’enfant vivait dans la frayeur constante d’un châtiment. Lui-même ne se rendait pas vraiment compte de la dynamique qui dominait entièrement sa vie et qui consistait à être châtié et à éviter d’être châtié. Même ses rêves d’avenir n’évoquaient en définitive que la délivrance de cet asservissement. Il sentait qu’il perdait pied dans un monde de plus en plus confus. Lentement, à chaque nouvelle punition, son sens de l’intégrité s’émiettait. Son respect de lui-même s’étiolait. Il se disait que, s’il se contentait de faire ce qui lui était ordonné, s’il ne prononçait plus jamais une seule parole, s’il s’amoindrissait au point de ne plus causer aucun remous, on allait oublier qu’il était là. Et tout irait pour le mieux. Il allait pouvoir se débarrasser de son identité comme d’un vieux manteau dont personne ne voulait plus. Ce ne pouvait être bien difficile de cesser d’être soi, de n’être plus rien.
    Dehors, il devait faire jour : le parchemin huilé de la petite fenêtre dévoilait à présent le trou de souris devant lequel il s’était installé. Il était noir et invitant. Louis se mit à psalmodier, comme une incantation :
    — J’essaie de partir… Loin, très loin d’ici… Je ferme les yeux… Mais ça ne veut pas, je ne peux pas disparaître.
    *
    La nuit tombait tandis que Louis se trouvait encore à une lieue de chez lui. Il avait bravé les caprices de novembre et ses nuages pleurnichards qui toute la journée avaient déversé une pluie morne. Les affaires en avaient été considérablement ralenties à l’ouvroir, si bien que le boulanger avait dû recourir aux livraisons seules pour écouler son stock bien protégé à l’intérieur du panier par une toile cirée. Heureusement, à l’une des tavernes, Louis était tombé sur un groupe d’étudiants affamés qui l’avait arrêté pour s’arracher de petites miches fraîches et moelleuses et les bonnes galettes bises. Il avait même dû revenir à la boulangerie pour remplir son panier avant le milieu de l’après-midi.
    Sa hotte maintenant allégée lui épargnait le dos. Cela lui redonna du courage. Il avait grande hâte de retirer sa vieille cotardie* grise et trempée qui adhérait à sa peau et de se pelotonner sur sa couche, sous sa couverture de laine, pour se réchauffer au moins un peu.
    Une rue en pente qu’il entreprenait de remonter lui caressait les pieds de l’eau boueuse de ses rigoles. Le pincement que cela lui causa eut au moins l’heur de lui assurer qu’ils n’étaient pas gelés. Mais le moment n’allait pas tarder où il allait devoir demander à son père la permission de porter ses sabots bourrés de paille. Il songea avec fierté à son petit ensemble gris, presque neuf, qu’il n’avait porté que deux fois au début de l’automne. L’enfant avait conscience que ce vêtement devait être réservé aux grandes occasions. Il n’y voyait

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