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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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tomber le fromage dans la neige souillée. L’angoisse le saisit à la gorge : il ne voulait pas devenir méchant comme l’autre fois.
    Hugues ramassa le fromage et mordit dedans, avant de le faire passer à ses complices. Tout en mâchant, il étudia Louis, qui avait serré les poings. Sa mâchoire saillait. D’un instant à l’autre, il allait foncer.
    — Pisse pas dans ton froc, le Long, dit un Aubert ricanant. Louis jeta un coup d’œil rapide en direction de celui qui avait parlé pour évaluer ses distances. Hugues eut presque envie de le laisser lui flanquer une raclée dont il allait se souvenir longtemps. Les coups de ce jeunot étaient d’une efficacité vicieuse. Il le savait, lui : on eût dit que Louis ne voyait plus rien une fois lancé. Mais ses petits poings rapides visaient sans relâche l’estomac – ce qui était très douloureux mais ne laissait pas de marques – et la tête. Il était loin d’être aisé de protéger ces deux endroits vulnérables de façon simultanée.
    Hugues vit le jeune voleur s’avancer vers Aubert en clignant ses yeux inexpressifs et en arborant son espèce de grimace bestiale.
    — Nom d’un chien, Aubert, éloigne-toi vite ! dit Hugues. Puis, à Louis :
    — Attends, le Ratier, attends. J’ai à te parler.
    Louis fit une pause. Hugues lui tendit le fromage. C’était inattendu. Il l’accepta, mais n’en prit pas. « Pas si taré que ça, le petit, se dit-il. Il ne tombe pas dans le piège facile de se laisser distraire par la mangeaille. C’est rusé, ça. Un vrai goupil. » Il reprit :
    — Depuis un bout de temps que je te regarde faire, tu te débrouilles bien. Tu as appris ça tout seul ?
    — Oui, répondit Louis.
    — Mais tu es bien jeune. Quel âge as-tu ?
    — Sept ans.
    — Bigre ! Tu as changé, il me semble. Que t’est-il arrivé ? Tu t’es cogné la tête ?
    Louis ne répondit pas. Il n’avait pas remarqué qu’il se tenait bien droit et qu’il fixait Hugues dans les yeux sans ciller. Il étudiait froidement son adversaire. Il aurait pu paraître insensé de la part du garçon de défier un colosse tel que Louis, mais l’enfant avait depuis longtemps appris à ne pas considérer sa stature comme un facteur de domination. Hugues semblait avoir du nerf, même si Louis l’avait déjà dépassé de plusieurs pouces. Ses yeux noisette étincelaient comme ceux d’un chat. Son intelligence évidente en faisait un adversaire à craindre. De plus, il ne pouvait cette fois-ci être question de le prendre par surprise, car lui aussi se tenait sur le qui-vive. Louis devinait que sa victoire était loin d’être assurée. Mais il n’en montra rien. Il se contenta de soutenir le regard rusé du chef.
    Depuis son dernier affrontement avec Hugues, Louis avait découvert que l’une des façons les plus efficaces pour neutraliser son anxiété était de passer à l’action et de devenir lui-même agressif. Il avait constaté que rien de ce qui risquait de survenir ne pouvait être pire que la douleur et la peur qu’il avait eu souvent à supporter passivement. Il était capable de faire n’importe quoi, désormais, pour s’en débarrasser. L’effet paralysant de sa crainte avait disparu. Le maintien altier qu’il adoptait maintenant en témoignait, il était là tout entier et prêt à riposter. Cela suffit à émietter le courage de Hugues. Le gamin baissa la tête pour signifier qu’un combat n’allait pas être nécessaire pour élire le nouveau chef.
    Bien qu’à contrecœur, il chercha quand même un moyen de gagner la confiance de Louis. Il se tourna vers son groupe.
    — Ho ! Vous autres ! Faisons les présentations.
    Cela fut fait. À partir de là, ils n’appelèrent plus Louis le Ratier. Ils partagèrent avec lui le fruit de leurs larcins et lui proposèrent de faire partie de leur cour des Miracles* malgré son jeune âge.
    En leur compagnie, l’enfant perfectionna son apprentissage. Il ne fit cependant jamais tout à fait partie intégrante du groupe en dépit de son nouveau statut de leader, apparemment à cause de son travail qui occupait le plus clair de ses journées, tandis que la bande de Hugues consacrait les siennes à ses jeux et à ses mauvais coups. En fait, la vraie raison de son isolement relatif était que Louis ne ressentait pas le besoin d’avoir des amis. Qui n’a pas soif ne peut regarder la fontaine avec convoitise. L’eau est fraîche et claire, elle est là, à portée de la

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