Le jeu de dupes

vous implore d'apaiser la foule qui nous menace.
    Sur son lit d'apparat, Anne d'Autriche fit un effort surhumain pour ne pas s'étouffer de colère avant de réussir avec maîtrise mais extrême froideur à répliquer :
    – C'est votre maître et nul autre qui a amené ce peuple sous mes fenêtres. Lui seul peut le faire repartir il me semble. Vous me voyez couchée et sans aucune intention de m'enfuir vers on ne sait où. Que vous faut-il de plus, laissa-t-elle échapper, l'indignation finissant par lézarder son apparente impassibilité.
    À cet instant précis, des pavés lancés par plusieurs énergumènes qui tentaient une percée brisèrent une baie vitrée. Les gardes s'emparèrent des premiers téméraires qui avaient réussi à se hisser sur le grand balcon construit par Jacques Lemercier à la demande de la régente pour pouvoir à loisir admirer les magnifiques jardins de Desgots, seulement ils ne pouvaient longtemps maintenir à distance une plèbe résolue à forcer le passage et qui avait trouvé là un moyen commode de le faire. François comprit qu'on ne pourrait plus d'ici peu échapper à l'émeute. Il se pencha vers le maréchal.
    – Où sont les enfants royaux ?
    – Dans la chambre de Louis, l'ancienne chambre de Richelieu située juste après la galerie des hommes illustres. Voyez le serviteur qui se tient à votre droite devant les battants dorés, c'est La Porte, le valet du dauphin.
    François aborda discrètement l'individu qu'on venait de désigner et s'adressa à lui à voix basse :
    – Monsieur, il faut dire à Sa Majesté de ne point bouger de son lit.
    – Ah ! Je le voudrais bien… mais mon jeune maître exige de rejoindre sa mère pour la soutenir dans l'épreuve.
    François aperçut en effet le juvénile suzerain habillé de pied en cap dans l'embrasure de la porte. En deux enjambées il le rejoignit et le dissimula aux regards, espérant que personne ne l'ait remarqué.
    – Monsieur de Rohan Montauban, s'exclama le futur monarque étonné de retrouver le visage familier du gentilhomme qui lui avait sauvé la vie deux années auparavant au château de Saint-Germain 2 .
    – Votre Altesse, courez vous recoucher et faites semblant de dormir, vous accréditerez ainsi les propos de votre mère la reine.
    Malgré le regard courroucé de l'adolescent, il osa poursuivre :
    – Pour l'amour de Dieu, Votre Majesté, c'est l'unique chance d'éviter un bain de sang.
    Louis pâlit et, après un rapide signe d'approbation en direction de François, se dirigea vers sa chambre, suivi par La Porte qui l'aida à se coucher et dissimulât ses habits en remontant les drapsjusqu'au royal menton avant de fermer l'accès à la pièce.
    Pendant ce temps, des Souches haranguait les courtisans présents, leur vantant la bonne volonté de son maître. François fit un signe à Villeroy pour qu'il attire son attention.
    – Parbleu, encore heureux que Votre Seigneur veuille arranger les choses, qu'adviendrait-il de pire s'il ne le souhaitait pas ? Que désire de plus le duc d'Orléans ? Des Souches, vous voyez sans conteste que la reine est de bonne volonté, s'exclama-t-il avec vigueur.
    Saisi, le capitaine des gardes suisses se tourna vers celui qui osait l'apostropher de la sorte, ce qui permit à notre héros de s'approcher de Madame de Motteville.
    – François, c'est vous ? chuchota-t-elle surprise.
    – Madame, dites à la reine que le bruit va réveiller ses enfants.
    – Nous ne le pouvons pas, les petits sont habillés, prêts à partir, répondit-elle d'une voix faible et tendue.
    – C'est arrangé avec La Porte. Prévenez vite Sa Majesté.
    Des Souches ne remarqua pas le manège qui se jouait derrière son dos, outré par les propos de Villeroy, exigeant qu'il s'en excuse, ce que ce dernier fit de fort bonne grâce à son grand étonnement. Quand il se retrouva de nouveau face à Anne d'Autriche, il s'entendit répliquer vertement :
    – Parfait, capitaine, puisque la parole de votre reine ne vous suffit pas, rendez-vous compte du peu d'à-propos de vos accusations en vérifiant par vous-même que le roi dort à côté.
    Des Souches s'exécuta promptement, guidé par le maréchal de Villeroy. Anne d'Autriche, inquiète, chercha des yeux Madame de Motteville qui, d'un geste discret, désigna François. La régente apprécia d'apercevoir ce fidèle partisan et reprit des couleurs. Lorsque l'homme lige de Monsieur réapparut, elle le toisa froidement :
    – Pouvons-nous enfin