Le jeu de dupes

espérer que cesse ce zèle intempestif ?
    – Je vous prie, Votre Altesse, d'accepter mes plus humbles excuses pour les désagréments provoqués par ma venue à une heure si tardive. Je vais de ce pas rassurer le peuple de France. Son roi est bel et bien là !
    François, à en juger par l'état d'excitation de la foule à l'extérieur chauffée à blanc par les rumeurs de fuite des membres de la famille royale, n'était pas certain que les louables intentions du capitaine suffisent à empêcher l'insurrection. La populace s'enhardissait de plus en plus et soudain une centaine d'individus incontrôlables, en guenilles et armes aux poings, déferlèrent à l'intérieur du palais.
    La reine comprit qu'il fallait agir vite et ordonna très intelligemment qu'on ouvre grand les portes. Se levant, elle accueillit avec sang-froid et cordialité les chefs de la cohorte hirsute et malodorante qui forçaient sa demeure.
    – Messieurs, votre roi dort comme vous pouvez le constater, affirma-t-elle en désignant l'entrée des appartements de son fils.
    La Porte reçut pour consigne de soulever les rideaux du lit du dauphin, Villeroy tendit une bougie et le troupeau d'insurgés, faisant chut à qui mieux mieux, se pressa devant le baldaquins'esbaudissant à la vue du jeune roi assoupi. François se tenait à un mètre de la couche royale, prêt à intervenir au moindre débordement. Une nouvelle fois, comme à Saint-Germain, il admira le courage de Louis qui restait impassible, profil marmoréen, subissant sans broncher de recevoir les postillons de ceux qui disaient l'aimer et qui forçaient ainsi son intimité, l'obligeant, lui, leur monarque, à jouer la comédie de l'endormissement, humiliation qui le hanterait pour le restant de ses jours.
    – Il est temps de laisser Sa Majesté se reposer en paix, dit François d'une voix aimable, montrant aux énergumènes le chemin de la sortie.
    Tout le monde convint qu'il ne fallait pas réveiller un si bel enfant et peu à peu la masse se retira. Une fois l'excitation passée, les misérables se sentirent impressionnés de fouler les magnifiques parquets de Macé et de deviner sur eux les regards courroucés des portraits de Richelieu peints par Champagne, osant à peine s'arrêter devant les œuvres de Vouet, s'extasiant comme des enfants face aux dorures et aux ornements qui se déployaient à foison, se laissant pour finir expulser tranquillement comme un troupeau de moutons.
    À peine avaient-ils franchi le seuil de ses appartements que Louis se redressa. Il contempla son frère en pleurs qui, réfugié auparavant dans la pièce adjacente, venait d'entrer en hoquetant, avouant qu'il avait mouillé son lit, et serra les poings en enfonçant ses ongles dans ses paumes jusqu'au sang. François s'inclina profondément et quitta la pièce, sachant qu'aucune parole n'apaiserait l'immense colère du jeune suzerain. Il alla présenter seshommages à Madame de Motteville, espérant qu'elle donnerait des indications sur l'endroit où il pourrait trouver Arnaud.
    – Non, mon ami, je suis comme vous, incapable de dire où se trouve mon cousin. La reine nous a demandé de venir entendre la messe avec elle. Je prierai pour la sauvegarde d'Arnaud… Las, déplora-t-elle en désignant discrètement des miliciens au loin, Sa Majesté est encore obligée de tolérer des intrus chez elle. On ne peut plus se défaire de certains officiers de la garde bourgeoise et elle les a invités à l'accompagner dans son oratoire afin qu'ils puissent voir ses châsses ornées de diamants renfermant des reliques. Peut-être pourrons-nous ensuite nous en débarrasser et prendre quelque repos…
    François la vit s'éloigner afin d'aider la reine à passer une robe de chambre. Il s'apprêtait à quitter les lieux lorsque le maréchal lui fondit dessus, visiblement très agité.
    – On vient de m'apprendre qu'Arnaud a eu maille à partir avec les hommes du coadjuteur. Il serait blessé et réfugié dans une auberge les Trois…
    – Les Trois Portes. Le patron de l'établissement est une vieille connaissance. Je m'y rends séance tenante. Au plaisir de vous revoir, maréchal.
    Villeroy le salua et se résigna à rejoindre le dauphin à pas lents, ne sachant guère comment soulager le courroux et l'humiliation de l'enfant, espérant que La Porte y parviendrait.
    François se hâta de récupérer sa monture et, les rues étant redevenues praticables, rejoignit sans encombre la taverne. Il n'avait pas fait un