Le jeu de dupes
Fronde condéenne que la duchesse appelait de ses vœux, tout comme la ratification d'une alliance avec le souverain espagnol.
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23 août 1651
Jean-Baptiste Poquelin, héritier d'une vénérable lignée de tapissiers du roi, aurait dû voir l'aboutissement de sa carrière dans l'opportunité de préparer le lit de son monarque au pied tandis que le premier valet de chambre le ferait à la tête, mais il en avait décidé autrement en devenant comédien, puis directeur de troupe, plus connu sous le pseudonyme de Molière. Le saltimbanque de vingt-neuf ans, protégé du tout-puissant comte d'Aubijoux en Languedoc, était l'hôte d'une de ses propriétés proche de Paris où l'artiste était revenu au printemps à la demande de son père pour régler des affaires familiales.
Assis dans le cabinet de travail attenant à sa chambre, il observait de sa fenêtre les méandres de la Seine projeter leurs courbes harmonieuses au bout de la propriété tout en rédigeant un courrier à l'attention de Madeleine Béjart. Son ancienne maîtresse à la crinière rousse avec laquelle il demeurait très lié était restée dans le Midi avec les artistes de sa compagnie et il les aurait normalement déjà rattrapés en Dauphiné si une fluxion de poitrine ne l'avait obligé à se soigner et à se reposer avant de reprendre la route.
Ma belle amie ,
La santé me revient et je peux enfin vous écrire sans être épuisé à chaque ligne tracée. Cette lettre sera la dernière car je quitte à la fin de la semaine la retraite où notre généreux mécène a eu la bonté de m'accueillir pour vous rejoindre.
Comme je vous l'ai déjà raconté, les retrouvailles avec mon père se sont mieux déroulées que je ne l'espérais. Ah ma mie, si vous saviez le poids qui m'est enlevé depuis ! Quelle générosité chez cet homme dont je me réjouis d'être le fils… Après de si longues années sans nous voir, il a su oublier sa déception à mon encontre pour ne conserver dans son cœur qu'un attachement profond malgré son regret du choix de vie qui est le mien. Il est allé jusqu'à régler certaines quittances datant de la ruine de l'Illustre Théâtre craignant sans doute mon retour en prison pour dettes dans le cas contraire. Il s'est montré inquiet de connaître nos conditions de vie et j'ai sciemment dépeint une vie de cocagne pour le rassurer. Pouvais-je avouer, ayant brisé ses rêves et tout quitté pour mener une existence de vagabond, la dureté des routes, la faim, le froid, la difficulté à trouver un protecteur à la hauteur de nos aspirations depuis la disparition du duc d'Épernon, la concurrence impitoyable avec les autres troupes et l'adversité permanente dans laquelle nous nous débattons…
Le doute m'assaille parfois de manière si violente qu'il m'est difficile de le chasser, fort heureusement, mon amie, je vous revois bientôt et, à votre habitude, vous saurez disperser mes idées noires.
Dans mon dernier courrier, j'évoquais mon bonheur à flâner le long des rues du vieux Paris et mon émotion devant le théâtre du Marais où je vous aperçus pour la première fois. J'ai retrouvé avec un serrement au cœur les piloris des Halles face à la maison de mon enfance où de pauvres bougres sont toujours exposés sous les quolibets de la foule. J'ai traversé la Seine et mes pas m'ont ramené vers le collège de Clermont où j'ai tant de bons souvenirs surtout ceux des tragédies que nous montions avec mes camarades sous la férule dure mais juste de nos professeurs jésuites. Cependant l'endroit qui m'a le plus rendu nostalgique c'est, vous l'aurez deviné, le Pont-Neuf avec ses théâtres de tréteaux en plein air que nous arpentions, mon grand-père Cressé et moi, juché sur ses épaules, avant d'aller dans sa loge de l'hôtel de Bourgogne voir des spectacles dramatiques où rien ne me ravissait plus que les intermèdes de Bruscambille, ce génie de la farce. Que de bonheurs passés…
À propos de farce, je crois que la fiction ne pourra jamais égaler les rebondissements de la Fronde. La reine a voulu calmer un Condé furieux, abreuvant les parlements de diatribes féroces contre la cour, en renvoyant les conseillers Servien, Le Tellier et de Lionne désignés par Mazarin ainsi que Chavigny et ce en pure perte.
On m'a raconté que notre jeune roi hait le prince depuis un incident survenu fin juillet au Cours-la-Reine où Condé a dépassé son suzerain en ordonnant au cocher de son carrosse
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