Le jeu de dupes
d'accélérer au lieu de s'arrêter pour le saluer. Cela et le reste ont poussé la régente, soutenue par Gastond'Orléans, à l'accuser de rébellion devant le parlement et Condé exige désormais la tenue d'un procès. Dernier rebondissement qui serait à mourir de rire s'il n'était si affligeant : le coadjuteur s'est permis avant-hier au parlement de s'opposer en égal à ce prince de sang et figurez-vous que cela lui a valu d'être étranglé entre les portes du parquet des huissiers par La Rochefoucault, menacé de se voir transpercer le postérieur par les lames de ses hommes de main, pour finir sauvé in extremis par Champlâtreux, le fils du président Molé, tout cela pour une question de cérémonial non respecté : ne nage-t-on pas en pleine commedia dell' arte ?
Jean-Baptiste se rendit compte qu'il ne restait plus de quoi terminer sa lettre dans son encrier. Cela valait mieux car sinon il n'aurait pu s'empêcher d'évoquer la brunette qui l'avait rejoint quelques semaines auparavant dans la demeure du comte d'Aubijoux qui l'y hébergeait pour la soustraire au joug d'un mari décrit comme un être brutal et insupportable. Nolwenn avait été d'une agréable compagnie pendant sa convalescence et le dramaturge n'était pas insensible à ses charmes malgré son état de grossesse avancé. C'était plus fort que lui, il ne pouvait résister à la beauté de la gent féminine et les liaisons s'enchaînaient sous l'œil acerbe de Madeleine. Pourtant, cette fois-ci, il savait que la belle était inatteignable, emmurée dans son chagrin d'amour, triste d'avoir quitté un époux qu'elle aimait profondément malgré tout et qui allait commettre, d'après le comédien, une erreur en voulant accoucher loin du futur père, décidée ensuite àrejoindre sa sœur fraîchement veuve en Bretagne pour un avenir incertain. Molière devinait qu'entre les deux amants l'orgueil était aussi intense que la passion. Lorsqu'un valet annonça qu'un gentilhomme demandait à être reçu, il ressentit une joie sincère à l'idée que ce pouvait être le mari repenti : il ne se trompait pas. À la mine du chevalier de Rohan Montauban, il constata que l'individu qui se tenait devant lui, paré de tous les défauts de la création, semblait surtout très amoureux et désireux d'arranger les choses, très loin du portrait de parfait malotru dressé par d'Aubijoux, et il s'en félicita.
– Monsieur, commença François, je vous prie de m'excuser pour m'imposer ainsi sans y avoir été invité mais je sais que mon épouse loge ici et je voudrais pouvoir lui parler pour éclaircir un certain… malentendu.
– Chevalier, je ne suis pas chez moi et n'ai donc aucune interdiction à formuler, surtout si vous êtes pétri de bonnes intentions envers une jeune personne que j'ai appris à apprécier et qui aurait grand besoin d'un compagnon aimant à ses côtés.
François parut soulagé d'entendre ces paroles car, depuis le billet de Ninon révélant la participation du comte d'Aubijoux à la disparition de Nolwenn, ce qui lui avait valu une réprimande musclée de la part de la courtisane, il s'était mis en route vers l'adresse indiquée, craignant plus que tout une rebuffade. Molière, convaincu de la sincérité du visiteur, partit en personne chercher Nolwenn.
– Madame, répétait-il le long des couloirs, écoutez au moins ce qu'il a à vous dire, je pense que vous y gagnerez.
Puis il se retira discrètement, un sourire aux lèvres – étant de ceux qui croient que l'amour triomphe toujours – pour aller hâter les préparatifs de son prochain départ.
François, à la vue de sa femme, tressaillit imperceptiblement : le ventre de Nolwenn était impressionnant et il ne put s'empêcher de le fixer. Sa compagne le remarqua et se raidit. En deux enjambées François la rejoignit et prit sa main dans les siennes.
– Je suis très heureux de voir que vous et l'enfant vous portez bien, très heureux…
Nolwenn fut surprise de cette entrée en matière car elle craignait un peu la colère de son époux, aussi déclara-t-elle, soulagée :
– Ma sage-femme affirme que le bébé s'est déjà retourné et que l'accouchement devrait être imminent.
– C'est bien, dit François en se mordant les lèvres.
Il avait préparé tout un laïus durant le trajet depuis l'hôtel Bessières ; seulement, devant sa conjointe, il ne retrouvait plus ses mots. Nolwenn vola à son secours en proposant de s'asseoir dans le kiosque du
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